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vendredi 19 décembre 2008
Réactions : Fusionner les Régions Poitou-Charentes et Aquitaine
Cette semaine, nous laissons la parole à Bruno Albert, ancien maire de Montlieu la Garde. Ce haut fonctionnaire civil de la Défense a été chargé de mission à la Région Aquitaine sous la présidence de Jacques Valade. Il donne son point de vue.
Le pire qu’il puisse arriver au projet de fusion des Régions Aquitaine et Poitou-Charentes de Jean Pierre Raffarin et Dominique Bussereau, c’est rencontrer l’indifférence. Pourtant, la démarche ne manque pas d’intérêt. Cette proposition s’inscrit dans la perspective d’une pensée libre tournée vers la rupture utile, mais également dans un contexte particulier : la quasi-totalité des villes, la plupart des Départements et les deux Conseils Régionaux ont viré à gauche. Il est donc pertinent de réfléchir. Faute de quoi l’histoire bafouillerait encore. En effet, la grande Aquitaine n’est pas une nouveauté et il faut se souvenir que les premières expériences de fusion furent essentiellement aiguillonnées par la terreur suscitée par les invasions normandes et arabes. Notons aussi que la proposition d’union est toujours venue des Comtes de Poitiers, jamais du Duc d’Aquitaine.
L’expérimentation proposée doit être analysée selon trois critères : la lisibilité, l’efficacité de l’action publique et sa compatibilité dans un contexte institutionnel donné. Sur la lisibilité, une remarque, dès lors que l’union se signale par un trait, ce n’est plus une union, c’est un amalgame. Poitou-Charentes ne veut pas dire grand-chose en termes identitaires. À Paris ou à Toulouse, personne ne se présente comme Picto Charentais. Ce serait ridicule. La question est de savoir si, maintenant, les gens d’ici adopteraient leur identité d’Aquitains. Il faut savoir raison garder : la fusion se traduit généralement par l’absorption du faible par le fort. Ensuite, le critère de l’efficacité doit être recherché attentivement. Dans le monde global et troublé du moment, l’action publique est motrice. La somme des investissements consentis par les communes, les départements et les régions est une donnée majeure de l’activité économique. L’efficacité ne peut se réduire à l’addition des forces en présence. La question est de savoir si la fusion des territoires introduit un facteur exponentiel dans le gain de richesses. Les politiques majeures des uns et des autres devront être passées au peigne fin : l’industrie touristique, l’agro-alimentaire, les infrastructures, etc.
Troisième critère d’analyse : la compatibilité de la fusion dans son contexte institutionnel. La règle qui domine est l’égalité des citoyens devant la loi. Pourquoi un régime de faveur pour le Sud-Ouest ? Et puis, il y a la perspective européenne. Naturellement, du Pertuis breton à la Bidassoa, la grande Région s’approcherait d’un standard attrayant comme la Bavière, au moins du point de vue de sa superficie avec environ 70 000 km2 chacune. Par contre, du point de vue de la population, les mesures sont incomparables : la Bavière constitue plus de 18 % de la population allemande lorsque l’addition de l’Aquitaine et du Poitou-Charentes pèse moins de 10 %. Sur la question du produit intérieur brut : par habitant, il est de 29 000 euros pour la France contre 27 000 pour l’Allemagne. La Bavière et l’Aquitaine tirent vers le haut le PIB de leur nation avec respectivement 32 000 et 30 000 euros quand Poitou-Charentes est à la traîne avec 27 000 euros seulement.
La grande Aquitaine rencontrera trois difficultés. D’abord, la limite de la solidarité entre territoires. L’Aquitaine s’appuie sur deux bassins urbains majeurs, le croissant bordelais comprenant l’agglomération centre plus le Bassin d’Arcachon et le Libournais et la conurbation basque tandis que le Poitou-Charentes pullule de micro pays et qu’aucun de ses chefs-lieux de départements ne dépasse la barre des 100 000 habitants. Ces disparités créeront des problèmes considérables. Deuxième difficulté : le mode de représentation politique. Si la multitude des fonctions électives et des charges est devenue l’épine dorsale de la démocratie, le changement d’échelle, induit par l’émergence de grandes Régions, nécessitera de rompre avec ces pratiques. Les obstacles s’annoncent périlleux. Enfin, la communauté de projet entre Aquitaine et Poitou-Charentes reste très floue. Pour s’en convaincre, il faut se souvenir de l’absence totale de planification dans la rénovation de la RN 10 traversant les deux Régions et trois Départements avec autant de programmations différenciées et des montages financiers spécifiques dans chaque cas.
Pour avancer sur la question de la fusion, il serait intéressant d’ouvrir quelques chantiers adjacents : le sujet des représentations politiques, la mise en réseaux des territoires et la discrimination érigée en vertu politique. Sur le premier point, il est clair que le cumul des mandats n’est plus en phase avec la montée en puissance de collectivités fortes. Ouvrir la voie du mandat unique constitue une perspective qui ajouterait du crédit aux promoteurs de grandes régions françaises. Sur le deuxième point, une autre proposition : renforcer la lisibilité du couple Aquitaine - Poitou-Charentes au sein de l’Arc Atlantique, structure de coopération inter régionale en Europe du nord, du Royaume Uni au sud du Portugal. Aujourd’hui, la fonction de coordination pour la France y est assumée par la Région Bretagne. Il faut, au plus vite, combler le manque d’audace des deux Régions. Troisième piste de travail, ériger la discrimination en vertu politique. En effet, dans la gouvernance locale, il est facile d’abonder les aides financières lorsque tel ou tel se comporte bien. L’exercice est plus contourné lorsqu’il s’agit de stigmatiser des comportements répréhensibles comme l’actuelle concentration d’unités de stockage ou de traitement de résidus d’ordures ménagères aux confins de la Charente Maritime, de la Dordogne et de la Gironde. Pourquoi ne pas dégager les directions dans lesquelles une véritable discrimination positive rapportée aux territoires serait de nature à apporter vraiment du neuf avec, en plus, une réelle adhésion populaire ? Le développement durable demeure un immense chantier ouvert.
De quoi l’avenir sera-t-il fait ? La probabilité est faible que les exécutifs régionaux bordelais et poitevin soumettent la question de la fusion à une consultation populaire. Il est plus vraisemblable que les entités comme les communautés de la Loi Pasqua et les pays de la Loi Voynet poursuivent un positionnement identitaire étroit. La perspective est également mince que le champ politique national s’écarte du contexte de la crise économique et financière pour s’ouvrir à des desseins structurels. Pourtant, le sujet mérite la plus grande considération. Pourquoi ne pas en faire, tout de suite, un thème central de la préparation des scrutins européens et régionaux ? Tendre vers une sorte de territorialité à la fois participative et sérieuse...
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