Pages

vendredi 28 novembre 2008

Professeur Bruno Dubois :
Maladie d’Alzheimer
Chaque année, 165.000 nouveaux cas sont recensés


Originaire de Saujon, en Charente-Maritime, où sa famille est intimement liée au développement de la Clinique et des Thermes, Bruno Dubois est professeur de neurologie à la Salpétrière, à Paris, et directeur de recherches à l’INSERM, spécialiste des grandes fonctions du cerveau. Les travaux qu’il a menés sur la maladie d’Alzheimer, publiés dans la revue “The Lancet”, apportent un éclairage intéressant sur cette maladie qui frappe un grand nombre de patients.
« Il existe des preuves qui indiquent que les processus d’altération du cerveau sont en marche. Elles sont repérables grâce aux moyens d’investigation dont nous disposons aujourd’hui comme l’imagerie par résonance magnétique nucléaire » explique-t-il. Rencontre avec ce praticien dont les recherches ont été saluées par la Communauté médicale internationale.



Professeur Dubois, quelles circonstances vous ont conduit à travailler sur la maladie d’Alzheimer ?


C’est une vieille histoire puisqu’il y a toujours eu, dans ma famille, un intérêt pour les relations entre cerveau et fonctions mentales. Déjà mon arrière grand-père, Stanislas, médecin de campagne en Charente Maritime, s’était intéressé à ces questions et avait rencontré à plusieurs reprises Duchêne, de Boulogne. Par la suite, son fils Robert et mon père, Jean-Claude, ont continué dans cette voie, s’intéressant à la neurologie et aux fonctions mentales. Pour ma part, après avoir fait mes études de médecine à l’hôpital de la Salpêtrière, je me suis formé à la neurologie dans le grand service du
Pr François Lhermitte, dont j’ai été le chef de clinique. Parallèlement, j’ai fait des recherches dans le laboratoire du Pr Agid où j’ai étudié les modifications des neurotransmetteurs dans le cerveau des patients parkinsoniens. Par la suite, j’ai dirigé une unité de recherche à l’INSERM consacrée aux grandes fonctions du cerveau et aux bases neuronales de leur dysfonctionnement chez les patients atteints de maladie cérébrale.

Grâce aux recherches que vous avez menées, un diagnostic précoce peut désormais être établi. Quels traitements peuvent ralentir, voire arrêter cette maladie ?


Les médicaments d’aujourd’hui cherchent à compenser les déficits biochimiques qui ont été identifiés dans la maladie d’Alzheimer. Il s’agit en particulier de la lésion massive des neurones cholinergiques, impliqués dans les phénomènes de mémorisation. Cette lésion est à l’origine de l’hypothèse cholinergique de la maladie d’Alzheimer et du développement de molécules visant à augmenter l’innervation cholinergique du cerveau. Trois médicaments appartiennent à cette classe et sont indiqués dans le traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer : l’Aricept, l’Exelon et le Réminyl. Ces médicaments sont symptomatiques, en ce sens qu’ils n’interviennent pas sur le mécanisme physiopathologique de la maladie, mais sur les conséquences de la perte cholinergique. Leur efficacité reste limitée puisqu’ils visent à rétablir l’un des anneaux d’une chaîne cassée à de nombreux autres endroits. Les médicaments de demain, en revanche, cherchent à bloquer la cascade biologique. En effet, la connaissance que nous avons des lésions de la maladie permet d’espérer des traitements physiopathologiques qui pourraient en ralentir, voire en bloquer, l’évolution. Cet espoir n’est pas une utopie lorsque l’on sait qu’il y a déjà aujourd’hui des essais de médicaments empêchant la formation du peptide amyloïde, c’est-à-dire de la substance anormale qui se dépose dans le cerveau des patients. Il y a également des essais de phase d’immunothérapie (ou vaccin) par injection intramusculaire du peptide amyloïde entraînant une réaction anticorps pouvant dégrader les plaques cérébrales. Un nouvel essai d’immunothérapie est initié en France depuis quelques mois ; un autre doit débuter dans les mois qui viennent. Le développement de ces médicaments laisse espérer l’arrivée sur le marché, dans les années qui viennent, de substances pouvant ralentir le processus pathologique. Il est bien évident qu’il faudra alors reconnaître les patients de la façon la plus précoce et la plus certaine possibles. C’est pourquoi nous avons, en parallèle, développé des outils permettant un diagnostic à la fois plus précoce et plus sûr de cette maladie.

L’augmentation des maladies neuro-dégénératives inquiète les populations. Quels sont les facteurs qui favorisent l’apparition de ces maladies ?

L’allongement de la durée de vie est une conquête majeure de l’humanité, en même temps qu’un privilège des sociétés dites développées. L’espérance de vie a augmenté de façon régulière et spectaculaire depuis la fin du XIXème siècle et, déjà aujourd’hui, une personne de plus de 60 ans a trois chances sur quatre de parvenir à l’âge de 80 ans. Aujourd’hui, un nouveau-né de sexe féminin a une espérance de vie supérieure à 90 ans.
Cet allongement de la durée de la vie a de multiples conséquences qui ne sont pas toutes négatives. En effet, il représente une source de croissance et de développement potentiels : les personnes âgées ont globalement vu s’accroître leur pouvoir d’achat et leurs besoins génèrent des activités économiques nouvelles. Cela dit, la progression du nombre absolu de personnes âgées est une réalité incontournable et devient un défi majeur. Ce d’autant que la maladie d’Alzheimer est d’autant plus fréquente que la population avance en âge. La prévalence de l’affection va mathématiquement augmenter dans les années qui viennent. Aujourd’hui, on estime à 856.000 le nombre de patients atteints de démence en France.
En attendant l’arrivée, espérée, des médicaments physiopathologiques, il faut essayer de lutter contre des facteurs associés qui, par leur présence, contribuent à l’expression plus précoce des lésions de la maladie d’Alzheimer. Si, nous l’avons vu, les lésions apparaissent tôt dans la vie, elles vont mettre plusieurs décades avant de s’exprimer et devenir symptomatiques. Il y a donc là une action possible sur le curseur dès apparition des symptômes. A titre d’exemple, il a été démontré que le traitement de l’hypertension artérielle diminuait la fréquence de la maladie d’Alzheimer. On peut faire l’hypothèse qu’il ne s’agit pas d’un effet direct sur la maladie mais sur les conséquences de l’amélioration du lit vasculaire cérébral qui retarde alors l’expression d’une maladie d’Alzheimer par ailleurs présente.

À l’Académie de Saintonge où le Grand Prix vous a été décerné en octobre dernier, vous avez annoncé une bonne et une mauvaise nouvelle. Quelles sont-elles ?

Commençons par la mauvaise nouvelle : les lésions de la maladie d’Alzheimer sont maintenant connues et nous avons mis en évidence leur apparition relativement tôt dans la vie. En effet, ces lésions sont observées à l’âge de 47 ans chez la moitié des sujets décédés de toute autre cause (infarctus, traumatisme crânien, accident de la voie publique...). Les lésions de la maladie sont donc précoces et surviennent tôt dans la vie, mais il faut plusieurs décades pour que la maladie s’exprime. En d’autres termes, le fait d’avoir des lésions ne veut pas dire que les sujets auraient tous développé la maladie. Soit qu’ils seraient morts avant de l’exprimer, soit que la présence de ces lésions ne suffit pas pour que la maladie s’exprime à tous les coups. La réponse à cette question est un des grands enjeux scientifiques concernant cette affection dans la mesure où on a la possibilité, aujourd’hui, de mettre en évidence ces lésions avant même que n’apparaisse la maladie.
La bonne nouvelle est que le fait de se plaindre de sa mémoire est un phénomène banal : plus de 50% des personnes âgées de plus de 55 ans se plaignent de leur mémoire. Si c’est la majorité (plus de 50% des cas), c’est donc la norme. En d’autres termes, il est normal de se plaindre de sa mémoire à partir d’un certain âge. Ce sont ceux qui ne se plaignent pas qui devraient s’inquiéter... ! Cette proposition, volontairement paradoxale, n’est d’ailleurs pas totalement sans fondement quand on sait que les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer ne se plaignent habituellement d’aucun trouble : c’est l’anosognosie, terme médical qui réfère à la non conscience, par le patient, des troubles qu’il présente. Ainsi, se plaindre de sa mémoire ne veut pas dire que l’on a une maladie de la mémoire. C’est souvent le prix à payer à l’avancée en âge, en rapport avec un trouble de l’attention, qui trouve son explication dans l’évolution récente de nos sociétés dites modernes: nous sommes de plus en plus sollicités par des informations en temps réel et il n’est pas surprenant, dans ces conditions, qu’une partie de ces messages ne soit pas enregistrée.


Vous avez également dit que le cerveau restait une énigme avec ses 100 milliards de neurones. La recherche avance-t-elle rapidement dans ce domaine ?

Oui, la recherche avance, et vite ! La maladie d’Alzheimer est la maladie du cerveau pour laquelle les progrès les plus importants ont été faits au cours de ces vingt dernières années. Ces progrès ont été enregistrés aussi bien dans la connaissance des lésions et de leur mécanisme que de la clinique et de la thérapeutique.
On connaît maintenant les deux acteurs principaux de la cascade biologique responsables de la maladie. De cette connaissance, résultent des progrès dans l’identification de biomarqueurs spécifiques dans les liquides biologiques des patients (sang, liquide céphalorachidien).
La maladie d’Alzheimer est la première affection neurodégénérative pour laquelle des anomalies biologiques peuvent être mesurées dans ces liquides. Ces dosages biologiques, encore réservés à certains centres experts, sont fiables à plus de 90%. De plus, on sait que les lésions débutent relativement tôt dans la vie. Leur siège est également intéressant à considérer.
Elles débutent dans les régions impliquées dans des phénomènes de mémoire et de stockage à long terme. Il n’est donc pas surprenant, dans ces conditions, que les premiers symptômes soient des troubles de mémoire. L’ensemble de ces connaissances a permis aussi de mieux définir les cibles thérapeutiques, comme nous l’avons déjà dit.

Pour conclure, quels sont les travaux que vous conduisez actuellement et quel message pourriez-vous adresser aux familles qui ont un proche souffrant d’Alzheimer ?

Pour conclure, je voudrais donner une image dynamique de la recherche sur la maladie d’Alzheimer. Des progrès importants ont été réalisés au cours de ces dernières années concernant notamment les moyens de son diagnostic et les lésions qu’elle produit dans le cerveau. Mais beaucoup reste à faire. On n’en connaît toujours pas la cause première et nous attendons toujours les traitements physiopathologiques qui permettront de ralentir le processus de dégénérescence des neurones du cerveau. C’est le moment de soutenir vigoureusement la recherche car les enjeux scientifiques sont maintenant clairs.
Il faut isoler la cause de la dégénérescence des neurones, identifier les facteurs de susceptibilité génétique, caractériser les différentes étapes du processus biologique, valider des outils pour un diagnostic de certitude fondé sur la neuro-imagerie ou les biomarqueurs. La recherche avance, mais l’effort de soutien dans notre pays n’est pas encore à la hauteur de l’enjeu de Santé Publique que représente cette affection.
Faut-il rappeler que le vieillissement de la population a pour effet d’augmenter, de façon exponentielle, la prévalence de la maladie d’Alzheimer et que chaque année 165.000 nouveaux cas sont recensés ? Il est urgent de donner les moyens nécessaires à la recherche. Ce n’est qu’à ce prix que cette maladie pourra demain être vaincue et soignée...

Photos 1 et 2 : Le professeur Dubois.

1 commentaire:

  1. Cherchant comme de nombreuses personnes des informations sur les nouvelles thérapies pour combattre la maladie d'Alzheimer dont ma maman (80 ans) est atteinte (diagnostic fait il y a 1 an et demi et patiente suivie à l'hôpital Gui de Chauliac de montpellier,Professeur Touchon)je trouve cet article très interessant dans la revue Nicole Bertin info
    Comme celui ci remonte à 2008 je voulais savoir quelles étaient les dernières nouveautés parues depuis dans ce domaine.
    y a t il par ailleurs moyen de contacter le professeur B.Dubois pour lui poser directement des questions ?
    Merci d'avance
    Catherine Coucoulle Nempont
    Montpellier

    RépondreSupprimer