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vendredi 19 septembre 2008

Une nouvelle guerre de l’opium ? Que fait l’armée française dans ce bourbier ?


Les habitants de la région se posent cette question depuis qu’un Saintongeais originaire de la Genétouze, Damien Buil, a trouvé la mort dans ce pays avec neuf autres soldats, victimes des Talibans.


Lundi 22 septembre, l’Assemblée nationale vivra un débat animé en abordant ce délicat sujet : la présence de la France aux côtés des Américains en Afghanistan est-elle justifiée ? Au sein de l’Otan, les pays ont des obligations. Cependant, l’opinion reste partagée quant à l’efficacité des troupes tricolores. « Pourquoi se battre si loin ? Où sont nos intérêts réels ? Nous aimerions avoir une explication sur les stratégies que nous menons. Nous ne sommes plus après la Seconde Guerre mondiale où il s’agissait d’organiser la défense et la sécurité de l’Europe face à l’Union soviétique » souligne-t-on.
En conséquence, Le président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Axel Poniatowski, souhaite au Parlement un échange fourni où « chaque député désireux d’intervenir montera à la tribune et pas seulement les présidents des groupes parlementaires ».
Il est vrai qu’un conflit à des milliers de kilomètres présente des aspects virtuels qui s’effacent douloureusement quand un soldat tombe sous le feu de l’ennemi. Mais quel ennemi ?
L’Afghanistan semble lointain, perdu dans ses champs de pavots et sa guérilla. Voilà l’image qu’on s’en fait généralement, mais y regarder de plus, on s’aperçoit que ce pays montagneux et aride, vainqueur des Russes dans les années 80, est au cœur d’un important problème géopolitique.

Retour sur le passé

Initialement, les Talibans sont un groupe monté par les services secrets pakistanais et financé par les Pakistanais Pachtouns. Après le départ des Russes en 1989, ils se sont emparés de la quasi totalité de l’Afghanistan, à l’exception du Nord tenu par Ahmed Chah Massoud qui a trouvé la mort en septembre 2001.
Sous leur contrôle, l’Afghanistan est devenu un état islamique réactionnaire. Ils ont accueilli sur leur territoire tous les moudjahiddin (guerriers saints) de la mouvance de Ben Laden, y compris dans les zones tribales du Pakistan qui sont à cheval avec la frontière afghane. L’Afghanistan est alors devenu la base arrière d’un terrorisme islamique, à l’origine des attentats aux États-Unis. Ben Laden s’est d’ailleurs réfugié au Afghanistan.
La réaction américaine en Afghanistan est directement liée aux événements du 11 septembre 2001. Cette intervention a permis aux Tadjiks et aux Ouzbecks de chasser les Talibans de la capitale, Kaboul, et d’y installer un gouvernement. Il n’en reste pas moins vrai que l’Afghanistan n’a jamais été réellement un Etat. Il est composé de très nombreuses tribus dirigées par des seigneurs de la guerre qui varient au gré de leurs intérêts : un jour, ils se déclarent marxistes léninistes et le lendemain, islamistes pur sang ! En réalité, depuis l’occupation russe qui a brisé les quelques structures propices au développement, l’économie afghane repose pour l’essentiel sur la culture du pavot.
L’Afghanistan, en effet, est le premier producteur mondial d’opium. Or, l’Occident, en s’en prenant à cette mono culture, ruine les paysans et les jette ainsi dans les bras de la rébellion.


Pipelines venant de la Caspienne

L’insurrection actuelle est un mélange compliqué de réaction pachtoune portant l’habit des Talibans, de villageois révoltés par la guerre qui ralentit leur production d’opium et les bombardements de l’Otan qui tuent de nombreux civils. Le gouvernement d’Hamid Karzaï règne un peu sur Kaboul et a une maigre influence sur la plus grande partie du pays qu’il co-gère avec les chefs des régions. La réputation de certains remonte d’ailleurs à la guerre contre la Russie ! C’est donc à la fois sur un terrain géographiquement très difficile et humainement très hostile que doivent se déployer les forces de l’Otan, américaines pour la plupart.
Sur place, c’est la guerre des "Martiens" contre les populations. Pour tenir ce pays qui, dès la fin du XIXe siècle, s’est opposé non seulement à l’Angleterre impériale, mais a battu la meilleure armée du monde à la Khyber Pass, une stratégie très différente de celle qu’ont employée les Russes, et qui a totalement échoué, serait nécessaire. En fait, « il faudrait acheter, vallée par vallée, les seigneurs de la guerre » : c’est en tout cas le carnet de route que préconise le président Karzaï, sans être entendu ...
L’Afghanistan, territoire situé sur une fracture mondiale de conflits, a-t-il de tristes jours devant lui ? Il n’est pas interdit de le penser car les motivations des uns et des autres sont puissantes et contrastées. Ainsi, le Pakistan a peur que l’Inde y développe son influence et pèse sur sa frontière occidentale tandis que la Chine voit d’un très mauvais œil une présence islamique qui pourrait donner des idées aux irrédentistes Chinois musulmans. Pour leur part, les USA voudraient tenir ce territoire pour y faire passer les pipelines venant de la mer Caspienne en contournant l’espace iranien et l’Iran, enfin, aimerait en finir une fois pour toute avec l’Afghanistan, voisin turbulent qui inonde le pays de drogue et sème l’insécurité à ses frontières.
Selon des spécialistes, « il serait beaucoup plus simple de laisser aux puissances locales le soin de régler la question afghane plutôt que d’envoyer des contingents occidentaux qui sont visiblement perdus par la complexité d’une civilisation qui leur est complètement étrangère ». Ce choc, les parents de Damien Buil l’ont vécu lors du voyage qu’ils viennent d’effectuer en Afghanistan. Cette étape a été importante pour eux puisqu’ils ont vu la terre où leur fils est mort avec neuf camarades, victimes d’une embuscade des Talibans. Interrogé à la télévision mardi soir, Jean François Buil a reconnu que de nombreuses réponses avaient été apportées à ses questions. Selon une récente déclaration, le président Sarkozy souhaite maintenir la présence française en Afghanistan jusqu’en 2010. La lutte contre le terrorisme est à ce prix, dit-on en haut lieu. Mais, peut-être efficace, l’armée doit être convenablement équipée. Or, c’est là que le bât blesserait : le matériel serait inadapté, obsolète, voire en fin de vie. Le manque de munitions serait réel et le soutien logistique souvent inefficace. Fataliste, le général Jean-Louis Georgelin admet "qu’il faut tenir avec les moyens et le budget que donne la République".
Il est évident que dans un pays comme l’Afghanistan où les Talibans préfèrent le guet-apens à l’affrontement frontal, la connaissance du terrain et des méthodes employées par l’ennemi est essentielle.
L’expérience est prioritaire puisqu’il ne s’agit pas d’attaques classiques : les livres traitant de l’art de la guerre ne préparent pas forcément les officiers supérieurs à ces cas de figure...


La guerre contre les Infidèles

Dans un excellent reportage diffusé par France 24, la journaliste Claire Billet a suivi des Talibans lors d’une attaque. De ces images marquantes, on retiendra qu’ils utilisent des armes - dont des lances roquettes - datant du confilt contre les Russes.
« Les hommes sont prêts à mourir au combat et à faire des attentats suicidaires si on leur demande » avoue leur commandant. Et d’ajouter : « le gouvernement, c’est nous, les Talibans ont le pouvoir. Le gouvernement actuel perd le soutien de la population. Les Français seront des ennemis s’ils continuent à écouter les Américains, ils doivent changer de politique. Nous allons déplacer les combats dans les villes, entrer dans Kaboul pour en chasser les Américains et leurs alliés. Ce sera la victoire contre les Infidèles ». Nouvelle croisade en perspective ?
Le film se poursuit par la prise d’un poste de contrôle de la police afghane. Dans la nuit, le retour des Talibans en jeep, précédés d’un soldat en mobylette, ample vêtement déployé, a quelque chose de surréaliste. Comment se battre contre des hommes qui n’ont rien à perdre et se soucient peu de la vie, contrairement aux Occidentaux ? En tout cas, ces derniers savent ce qui les attend car ces maîtres de l’embuscade avancent « avec l’aide de Dieu », c’est-à-dire d’Allah. Toutefois, Dieu a des limites car pour s’armer, ils ont besoin d’argent provenant bien souvent de la drogue.
La CIA, très impliquée sur le terrain, déploie régulièrement des hélicoptères afin de repérer les champs de pavots pour les détruire. Serions-nous au cœur d’une nouvelle guerre de l’opium ? « Ce ne sont pas des Talibans qui ont détruit les Tours jumelles ou posé des bombes en Europe, mais des groupuscules extrémistes musulmans qui ont trouvé, dans le gouvernement taliban, un appui logistique et surtout financier grâce aux bénéfices que procure la culture du pavot » déclarent les observateurs. Dès lors, la logique américaine et occidentale est simple : si on supprime ces plantations, on coupe les vivres aux groupes terroristes les plus dangereux. En même temps, on réduit les paysans afghans à une extrême pauvreté, eux qui connaissent déjà la misère puisqu’ils ne cultivent plus de céréales.
La vraie question de ces enjeux est : Qui, le dernier, tirera les ficelles en s’imposant, le tout sur fond de gaz, pétrole et religion ? Le bouquet est décidément plein d’épines...

Infos en plus

• Le retour des Talibans ?

Le gouverneur de la province afghane de Logar a été tué samedi dernier près de Kaboul lorsque sa voiture a sauté sur une mine. Abdullah Wardak, son chauffeur et deux gardes du corps, sont également morts dans l’explosion déclenchée à distance sur une route, à 500 mètres du domicile du gouverneur près de Paghman, localité située à 20 km à l’ouest de Kaboul.
L’amiral Michael Mullen, le plus haut gradé américain, a reconnu devant une commission du Congrès que la coalition a du mal à faire face à la situation. Le secrétaire à la Défense, Robert Gates, a estimé que l’insurrection des Talibans prenait de l’ampleur en Afghanistan. Le ministre australien de la Défense, Joël Fitzgibbon, a critiqué, quant à lui, la lenteur des progrès de la coalition en Afghanistan.

• L’Afghanistan, l’Afrique aussi

Il y a quelques années, neuf soldats français ont trouvé la mort en Côte d’Ivoire bombardés « par erreur par des mercenaires biélorusses alors qu’ils protégeaient des puits de pétroles » a dit la presse. Ce drame a été moins médiatisé que celui de l’Afghanistan, malgré les violentes réactions françaises contre l’armée du président Gbagbo.

Photo 1 : Lors des funérailles de Damien Buil, soldat français tué en Afghanistan...

Photo 2 : Les forces de l’Otan en Afghanistan.

Photo 3 : Quel avenir pour nos soldats français et pour ce peuple afghan (que décrit fort bien Joseph Kessel dans son livre "Les cavaliers") qui connaît la misère dans un pays dont la principale économie est celle de la vente d’opium ?

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