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vendredi 19 septembre 2008
Georges André Morin : Ce qu’il pense
de la Chine et du Tibet…
Originaire de Thézac en Charente-Maritime, Georges André Morin est ingénieur général des Eaux et Forêts et grand voyageur. Amateur d’histoire (il est l’auteur de « La fin de l’Empire Romain d’Occident 375-476 » paru aux éditions du Rocher), il s’intéresse à la géopolitique, à l’Asie et la Chine en particulier. Sans langue de bois, il répond à nos questions.
Sa position sur le Tibet peut surprendre...
Dans quelles circonstances avez-vous été en
Chine ?
De 1993 à 2004, je m’y suis rendu sept fois, à titre privé, en touriste. Sur une décennie, les mutations sont à l’évidence perceptibles, ce qui est passionnant.
Selon vous, quels sont les ouvrages qu’il faut lire pour comprendre l’histoire de la Chine ?
Vaste et difficile question. Les bibliothèques sont encombrées d’ouvrages ayant vieilli très vite. Depuis le XVIIIe siècle, l’Occident a beaucoup projeté sur la Chine, dans une perception biaisée, cela a été particulièrement le cas quand Mao faisait rêver ma génération. «Les entretiens» de Confucius, sont à lire en premier. En ouvrages contemporains, je conseillerai les ouvrages de Madame Bergère. Sur l’histoire plus ancienne et les mutations du XXe siècle, le journaliste américain Stirling Seagrave a écrit deux livres intéressants : «The Dragon Lady» et «The Soong dynasty». Notre Lucien Bodard national fut également un bon observateur, agréable à lire. À la fin des années 1950, Roland Dumas, Edgar et Lucie Faure, et François Mitterrand, ont rapporté de voyages pourtant officiels des livres intéressants. Et bien entendu, Albert Londres «La Chine en folie», description désopilante des années 1920 qui vient d’être réédité. Mais il y a des dizaines de livres passionnants parmi les rescapés de l’écriture à chaud.
Sur la période immédiatement contemporaine, je m’abstiendrai de recommandation.
Quel regard portez-vous sur la Révolution culturelle et sur l’époque Mao ?
La « Grande Révolution culturelle prolétarienne » est un épisode de la période Mao. Ce que Mao a d’abord apporté à la Chine, c’est la restauration de sa dignité, la fin du système semi-colonial instauré au milieu du XIXème faible par les Occidentaux profitant de la faiblesse de la dynastie Mandchoue. Ce fut dans un premier temps, l’ordre, l’éducation, l’alphabétisation, la disparition des famines, ce que les spécialistes du développement appellent le minimum commun nécessaire. Ces acquis expliquent clairement les succès économiques postérieurs. À Shanghaï, il faut visiter le musée créé dans la maison (dans la concession française) où fut fondé le 23 juillet 1921 le Parti communiste chinois. Vous y verrez plus de référence à l’agression commencée en 1841 par la première guerre de l’opium qu’à l’idéologie marxiste-léniniste. On présente, de 1841 à 1949, la Chine confrontée à une guerre de libération dans laquelle échouent successivement les Mandchous, puis la première République dirigée par Guo Min Tang, avant la victoire finale de Mao en 1949.
Comme souvent, la fin fut moins glorieuse. L’échec du « Grand bond en avant » au début des années 1960 marque le début de luttes intestines au sein du PCC, camouflées sous le verbiage néo-révolutionnaire de la Révolution culturelle.
Les Chinois ne gardent pas un très bon souvenir de cette période et sont reconnaissants à Zhou En Laï d’avoir continué à gérer le pays au milieu des turbulences.
Quelle est votre vision du bouddhisme tibétain et du rôle du Dalaï Lama ?
Marginal au sein du monde bouddhiste, le lamaïsme tibétain est historiquement récent. Les Dalaï Lamas sont une sorte de commodité politique «fabriquée» par les Mandchous au XVIIIe siècle quand ils ont occupé la Chine. En fait, pour la plupart, ils ont été des "marionnettes" des castes dirigeantes féodales de la région, avec l’accord du gouvernement central chinois. Pour la petite histoire, le premier «vrai» Dalaï Lama (mort en 1685) a le numéro 5 pour donner de l’antériorité au système, les numéros 8, 9, 10, 11 et 12 sont morts empoisonnés ! L’actuel porte le numéro 14. Son prédécesseur a inauguré les velléités indépendantistes encouragées par les Anglais, puis les Allemands du IIIe Reich et enfin les Américains après la chute de Jiang Je Shi en 1949.
Pensez-vous que l’autodétermination doit s’appliquer au Tibet et dans quelles conditions ?
Jamais un Chinois ne m’a interrogé sur l’autodétermination de l’Auvergne, de la Corse, de la Bretagne ou d’une quelconque province française...
Pensez-vous que les sociétés occidentales aient à craindre l’évolution de la Chine ?
On peut toujours et rêver, et fantasmer. Je ne vois pas ce que l’Occident a à craindre. Les Chinois sont fiers d’être devenus un peuple debout, à la prospérité croissante. La Chine est consciente d’une partie des atteintes portées à son intégrité territoriale. Depuis les élections présidentielles du 22 mars dernier, le rapprochement avec Taïwan est très net. On n’a d’ailleurs pas assez relevé que les troubles survenus à Lhassa en mars dernier précédaient de quelques jours ces élections. « Is fecit cui prodest ? », qui pouvait avoir intérêt à porter atteinte à l’image du gouvernement de Pékin ? voire à essayer de peser sur le vote des Taïwanais que tous les sondages annonçaient favorables au candidat du rapprochement avec Pékin ?
L’histoire montre que les Chinois sont un peuple très pacifique, souvent soumis à des dynasties étrangères, les Mandchous étant les derniers en date. La proclamation de la République, en 1912, fit suite à une subtile négociation aux termes de laquelle, la « puissante dynastie Mandchoue renonçait spontanément à ses droits de conquête sur la Chine » (du printemps 1644), moyennant de substantielles compensations économiques ! L’ordonnancement des statues, qui bordent l’allée d’accès aux tombeaux des empereurs Ming, rappelle que les mandarins civils ont toujours eu le pas sur les mandarins militaires... Évidemment, l’émergence d’une grande puissance économique dont la population est le double de celle des États-Unis et de l’Union Européenne rassemblée n’est pas un épisode anodin de l’histoire économique. Il faudra apprendre à travailler avec ce colossal partenaire.
Infos en plus
• Cixi : Rencontre avec une Impératrice de l’intrigue
Portrait d’une femme de fer qui "élimina" pour conserver le pouvoir et détourna l’argent de l’Occident qui devait contribuer à construire une marine chinoise capable de rivaliser avec son homologue japonaise... pour restaurer le fameux bateau de marbre, immobile au Palais d’Été.
En le désignant à la gouvernance, elle fit le malheur de Puyi, le dernier empereur immortalisé
au cinéma par le cinéaste Bernardo Bertolucci.
C’est en 1852 que l’empereur Xianfeng prend Cixi pour concubine. Fille d’un gonfalonnier, elle a été recueillie par son oncle, à la mort de ses parents. Trois ans plus tard, elle met au monde un garçon, prénommé Zaichun, qui devient l’héritier du trône. Sa vie prend alors une tournure décisive.
À la mort de l’empereur en 1861, elle est impératrice douairière. À l’âge sept ans, son fils est intronisé empereur sous le nom de Tongzhi. Malheureusement pour lui, les temps sont rudes et il meurt peu de temps après, en 1875.
Zaitian, le deuxième fils du prince Chun, beau-frère de Cixi, lui succède à seulement quatre ans sous le nom de Guangxu. À sa majorité, en 1898, il a mûri et se charge personnellement des affaires du gouvernement. Sous l’influence de son conseiller, Kang Youwei, il se laisse convaincre d’entreprendre une réforme du système de l’État, de l’administration. La transformation en monarchie constitutionnelle est dans l’air du temps.
Cixi, qui n’aime pas cette idée, y met un terme l’année même avec le concours du commandeur Yuan Shikai. L’empereur est alors reconnu incapable de gouverner ! Habile manipulatrice, elle prend en charge la régence de l’empire.
Aux commandes, elle apporte son soutien à la révolte des Boxers - entre 1898 et 1901 - qui luttent contre la présence et l’influence des puissances occidentales en Chine, Etats-Unis, Angleterre, Allemagne et France en tête. L’alliance de ces nations, qui font le célèbre siège des Légations, l’emporte et Cixi est forcée de fuir à Xi’an. En 1902, on lui permet de retourner à la Cité interdite de Pékin.
L’empereur Guangxu meurt en 1908. Le lendemain du décès, Cixi désigne Puyi, autre fils du prince Chun, pour être le nouvel empereur (et le dernier, mais cela, elle l’ignore). Peu de temps après, elle décède à son tour.
On ignore si cette maîtresse de l’intrigue repose en paix. Une évidence s’impose : elle a régné comme un homme, n’hésitant pas à utiliser les cartes qu’elle avait en main pour asseoir son autorité et sacrifiant ses proches sans aucun remords. « Ce fut une vraie femme d’État » soulignent des historiens. Toutefois, certains de ses caprices ont nui à son pays.
Cixi marque la fin de l’aventure impériale de Chine sous les coups de boutoir du colonialisme occidental, à la recherche de matières premières et de débouchés pour son industrie.
• Puyi : L'Empereur jardinier
De tous les empereurs, sa vie a été incontestablement la plus tragique, mais, contrairement à son cousin Gangxiu, il est mort... de sa belle mort.
Devenu empereur dès son plus jeune âge (3 ans) selon le vœu de sa tante Cixi, il abdique en 1912, la République étant proclamée. Six ans plus tard, il revient sur le trône grâce au général Zhang Xun pour un bref moment. Chassé de la Cité interdite en 1924, il s’installe dans la concession japonaise de Tianjin.
À l’initiative des Japonais qui occupent la Chine, il est couronné empereur d’un état «fantoche», le Mandchoukouo, un ancien territoire Mandchou. À la fin du second conflit mondial, les Russes le font prisonniers et il est contraint de témoigner contre les Japonais lors du procès de Tokyo.
Peu reconnaissant à son égard, Staline le renvoie en Chine où il bénéficie d’une relative clémence de la part de Mao. Il passe tout de même dix ans dans un camp de rééducation. Après avoir été victime de nombreuses injustices liées à ce qu’il est censé représenter (un régime impérial révolu), il finit sa vie comme jardinier de la ville de Pékin. Il s’éteint en 1967.
Photo 1 : Georges André Morin
Photo 2 : Au fond de cette allée de la Cité Interdite, apparaît le portrait de Cixi qui n’hésita pas à «liquider» une partie de ses proches, dont son propre fils, pour asseoir son pouvoir.
Photo 3 : Pékin : Le Palais d’été cher à Cixi
Bonjour,
RépondreSupprimerje serais très heureux de connaître l'avis de mon érudit "cher camarade" Georges-André (ou du vôtre) sur deux ouvrages non cités que, pour ma part, je considère importants : "L'empire immobile" et "Les habits neufs du président Mao". Bien cordialement
Georges-Henri FLORENTIN