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vendredi 19 septembre 2008

Florent Ménier :
« Si vous détruisez l’opium afghan, vous coupez la mauvaise herbe à la racine »


En août dernier, la Charente Maritime, et plus particulièrement le Sud Saintonge, ont rendu hommage à Damien Buil, mort en Afghanistan.
Les habitants ont réalisé avec stupeur et consternation que leurs fils, leurs maris pouvaient trouver la mort lors d’affrontements à l’étranger. Engagé dans l’escadron Touraine, unité de transport de l’Armée de l’Air stationnée sur la base aérienne d’Orléans Bricy, le sergent chef Florent Ménier, dont la famille habite Saint-Pierre du Palais, a participé à des opérations en Afghanistan au sein des forces de l’Otan, en 2005 et 2006. Revenu à la vie civile, il a accepté de répondre à nos questions, témoignant ainsi de son expérience sur le terrain.

La guerre est bien réelle à des milliers de kilomètres de chez nous. Les Français auraient-ils tendance à occulter cette (cruelle) réalité ?

Certainement ! Si vous demandez, autour de vous, quel est le dernier conflit dans lequel l’armée française a été engagée, beaucoup vous répondront la guerre d’Algérie, voire l’Indochine ou la seconde guerre mondiale. Qui se souvient de Kolwezi en 1978 (11 morts), du Liban dans les années 80 (90 soldats tués), de Sarajevo ? L’armée française a toujours été engagée dans des missions de maintien de la paix, dans des pays en guerre où le danger et la mort, pour certains, étaient bien réels. Le fait que les Français occultent cette réalité vient peut-être des médias : quand on évoque la guerre moderne, on parle de « frappe chirurgicale, d’actions ciblées ». On nous montre à la télé des satellites, des bombes guidées laser et autres matériels... Mais la vérité sur le terrain est moins technique et plus meurtrière.

En France, pensez-vous que le traitement de l’information varie selon qu’un soldat trouve la mort en Afrique ou en Afghanistan ?

Il est certain que les récents évènements en Afghanistan ont été beaucoup plus médiatisés que le bombardement du 4 novembre 2004 à Bouaké. Pourtant, ce jour-là, neuf soldats français avaient trouvé la mort. Cependant l’événement était resté plus discret, sans doute parce que les circonstances de ce bombardement étaient plutôt troubles et le contexte politique différent. Mais la mort d’un soldat dans l’exercice de ses fonctions, qu’elle ait lieu en Afrique ou ailleurs, ne fait aucune différence pour sa famille et ses compagnons.

Lors des affrontements entre le 8e RPIMA et les Talibans, on a prétendu que l’équipement des troupes françaises était insuffisant. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Pour commencer, il faut connaître quelques chiffres. En 2007, le budget de la Défense était de 2% du PIB en France alors que celui des USA était de 4,6% (3% au Royaume-Uni). Certains spécialistes s’accordent pour dire qu’il ne faut pas descendre en dessous de 3 à 3,5% du PIB pour garder une défense efficace. Il faut savoir que la France est le seul pays, avec les USA, à avoir un porte-avions (12 Américains et 1 Français, à l’exception du Brésil qui a racheté l’ex Foch, sans son armement et sans avions !).
Bien sûr, un tel niveau de défense est très onéreux. De plus, de nombreux matériels ont besoin d’être renouvelés, tel le C160 Transall. Le budget étant insuffisant, le matériel vieillissant, il est évidemment difficile pour l’Armée française d’obtenir un soutien logistique suffisant en Afghanistan. Sans l’appui important de l’armée américaine, il serait même impossible aux Français de rester dans ce pays depuis fin 2001. J’ai personnellement connu des pénuries de leurres anti-missiles alors que la menace était bien réelle.

Dans la chaîne de commandement, il y aurait eu des lourdeurs et une absence de réactivité. Comment avez-vous vécu le commandement en Afghanistan ?

Pour l’instant, il est impossible de dire qui est responsable. Les gens du 8ème RPIMA sont très bien entraînés et préparés à ce genre d’attaque. Le commandement en Afghanistan n’est pas très éloigné du commandement en métropole, la principale difficulté étant de faire fonctionner ensemble différentes armes de différents pays.

Les soldats français présents en Afghanistan sont-ils conscients de l’objet de leur mission et surtout pensent-ils qu’elle est fondée ? Les forces de l’Otan seront-elles capables de protéger longtemps le gouvernement de Kaboul ?

Chaque soldat est bien conscient de son rôle dans le dispositif et de la mission à réaliser. De même, il connaît les risques liés à celle-ci et les accepte. Dans l’ensemble, tous les soldats sont enthousiastes à l’idée de partir sur le terrain et de mettre en pratique des mois, voire des années, d’entraînement. Quant à leurs intimes convictions sur le bien fondé de leur présence en Afghanistan, ils la gardent pour eux et effectuent leur mission le mieux possible. Le devoir de réserve est une chose sacrée pour un soldat.
Pour ce qui est du Gouver-nement afghan, je ne pense pas que sa sécurité soit réellement mise en cause. Pour le renverser, il faudrait prendre de force la capitale et tous les points stratégiques du pays. Les forces rebelles sont nombreuses et bien équipées, mais pas assez pour ce genre de coup d’état.

Cette guerre est aussi celle de l’opium. Pensez-vous que la culture du pavot, ainsi que le commerce de l’opium et de l’héroïne, jouent un rôle important dans ce conflit ?

La culture de l’opium en Afghanistan représente 53% du PIB du pays. Vous imaginez bien qu’une infime partie de cette culture suffit à fournir suffisamment d’armes et d’argent pour entretenir les groupes terroristes et rebelles... Mais surtout, 92% de la production mondiale de l’opium provient de ces vallées, avec tout ce que cela entraîne de réseaux, mafias, voire d’autres groupes terroristes indépendants en Europe et dans le monde. Si vous détruisez l’opium afghan, vous coupez la mauvaise herbe à la racine. Toutefois, il est très difficile d’inciter les paysans à cultiver du blé à la place du pavot : il suffit de comparer les prix de ventes pour comprendre !

Photo : Florent Ménier est le fils de Marie-Christine, notre sympathique et talentueuse correspondante de Montguyon.

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