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vendredi 25 avril 2008

Césaire, le bien Aimé - Sarkozy, le mal-aimé...

Il fallait être antillais « pour partir avec une telle fougue à la conquête de soi et de la plénitude ». Aimé Césaire rêvait de libérer les peuples du Tiers Monde de l’oppression européenne pour qu’enfin tous participent à la grande aventure humaine
« riche de la puissance productive moderne, chaude comme la fraternité antique »...


Jeudi dernier, le “chantre de la négritude” a dédié son ultime poème à la Martinique où il est né en 1913. Ses paroles se sont envolées vers les sphères de l’au-delà, où les cœurs se reconnaissent sans se juger. Aimé Césaire s’est éteint à l’âge de 94 ans après une vie d’engagement au service des autres. Pendant plus d’un demi-siècle, il a veillé aux destinées de cette île du vent que baigne à la fois l’Océan Atlantique et la Mer des Caraïbes. Une terre où l’histoire a pris un sens particulier avec l’esclavage.
« Ne sommes-nous pas tous enfants du même père et créatures du même Dieu ? » écrivait Voltaire qui s’interrogeait, au siècle des Lumières, sur les différences qui peuvent bien opposer le Turc, le Chinois, le Juif ou le Siamois : « je vous dis qu’il faut regarder tous les hommes comme nos frères ». Comme Montesquieu, il combattait l’hypocrisie du religieusement correct et remettait en cause cette vieille idée, solidement ancrée, de la supériorité d’une race sur une autre.
Confronté dès son plus jeune âge à la diversité, Aimé Césaire a marché dans leurs pas. Comme eux, il avait choisi la voix de l’écriture pour plaider la cause de la tolérance et la fraternité. Il voulait faire tomber les masques damiers, qu’ils soient blancs ou noirs. Que caches-tu derrière ce rideau de couleur qui te pare et devient rempart de ta pensée s’il limite ton horizon ? Qu’adviendra-t-il de toi si tu portes des œillères façonnées par des générations maquillées d’intransigeance ?
Quand on foule les rues de Fort-de-France ou de Point à Pitre en Guadeloupe, il est difficile d’occulter le passé et la traite des Noirs marquée, dans la mémoire, d’un tatouage indélébile. Ce “trafic “ triangulaire était organisé à partir de ports tels que Nantes, Bordeaux ou la Rochelle où les armateurs consolidaient leurs fortunes.
Qu’Aimé Césaire ait consacré “un discours sur le colonialisme“ dans les années 50 n’a rien d’étonnant. Il y revendiquait l’identité noire et sa culture face à une francité qui gommait les traditions. Toutefois, c’est en 1939 , dans son célèbre “Cahier d’un retour au pays natal“, qu’il a démontré avec talent l’importance de la poésie. Véhiculée par la douceur ou la violence du verbe, l’émotion devient alors cascade de réactions. Cette conscience d’être noir, il la nomma pour la première fois “négritude“, comme une eau qu’on fait couler sur le front d’un nouveau mot. Selon le sénégalais Léopold Sedar Senghor, avec lequel il étudia à Paris, Aimé Césaire a été l’initiateur de cette “définition“ tombée dans le langage courant. Il est vrai qu’ensemble, ils avaient des souvenirs. Avec Damas, Ils avaient créé la revue de “l’Étudiant noir“ avant d’entrer à l’École Normale Supérieure.


Dialogue imaginaire

Pour l’écrivain et l’homme politique qu’était Aimé Césaire, l’esprit doit rester en éveil. D’où l’idée - suprême liberté - de ce dialogue imaginaire avec lui en utilisant le tutoiement, comme il est d’usage aux Antilles...

- Aimé, tu as largement participé à la vie politique martiniquaise. Crois-tu que les choses aient évolué ?

« Les choses bougent quand le volcan se réveille. Il ne faut jamais oublier les chaînes, qu’elles soient virtuelles ou bien réelles. La pauvreté et l’injustice m’ont toujours révolté. Toutefois, il y a un fossé entre l’espoir et la réalité. J’ai d’abord prôné l’indépendance de la Martinique, puis j’ai soutenu son émancipation. L’île devait conserver son caractère, son authenticité, sans rompre avec sa grande sœur de la métropole. Il ne faut jamais perdre de vue la situation dramatique vécue par Haïti. En 1945, quand je suis devenu maire de Fort-de-France, il y avait des problèmes sociaux et un véritable exode rural qui résultait de l’effondrement de l’activité sucrière. Quittant la campagne, les paysans partaient en ville et la misère était grande. J’ai essayé d’imaginer l’avenir en apportant ma pierre à l’édifice, comme tout homme de bonne volonté. Y suis-je parvenu ? »...

- Sûrement, puisque les personnalités étaient nombreuses à ton enterrement. Pourtant, tu n’as souhaité aucun discours de leur part ?

« Pourquoi un tel déploiement médiatique à cette cérémonie que je voulais simple avec les miens ? Du coup, j’ai observé les événements de la colline où je me grattais les pieds, comme quand j’étais petit ! J’ai entendu que Sarkozy avait chanté mes mérites. J’ignore si mes livres ont séjourné longtemps sur sa table de chevet ! Il a dit le plus grand bien de moi à ses compatriotes, j’en suis flatté. Ségolène Royal s’est fait photographier près de mon cercueil. Peut-être pensait-elle que toucher du bois lui attirerait bonne fortune ? Tu sais, je crois davantage en la sincérité de Jacques Chirac. Il est soucieux du cheminement de l’humanité. Ce n’est pas par hasard qu’il a favorisé l’ouverture du musée des Arts premiers. Dans un proche avenir, les Français regretteront ces présidents qui portaient en eux les valeurs de l’humanisme ».

- Les temps changent en effet et Nicolas Sarkozy ne cesse de baisser dans les sondages. On l’appelle aujourd’hui le mal-aimé !

« Ce n’est pas facile d’être aux commandes d’un pays. Que demande-t-on à un président ? D’avoir une dimension, de l’envergure. Il doit apprendre à se détacher du matérialisme ambiant pour prendre de la hauteur et se tranformer. S’il monte assez haut, je lui glisserai quelques mots à l’oreille pour l’encourager. Son plus grand défaut est d’avoir cessé d’écouter les autres... Ils lui rendent en détournant la tête ».

- Tu préfères sans doute évoquer la mémoire de Charles de Gaulle !

« Ah, le grand Charles ! Ce fut certainement l’un des derniers guerriers de la nation française qui, le premier, pensa à la liberté et à l’émancipation des peuples colonisés. Ce qu’il commença avec son discours de Brazzaville. Il l’acheva en 1958 avec l’indépendance des états africains. Que voulait-il au fond de lui-même ? N’était-il pas aussi l’homme de la différen-ce ? ».

- Et Malraux, tu l’as rencontré ?

« Oui. Il m’a parlé de l’indépendance de la Martinique. Je lui ai répondu par la solidarité entre les peuples. C’est sans doute ce que j’ai voulu construire entre les peuples martiniquais et français, sur un pied d’égalité ».

- Quand on parle d’égalité, la société martiniquaise n’a t-elle pas eu d’étranges particularités ?

« Bien sûr, nous nous souvenons tous les accords de la Cruche où les Blancs voulaient rester possesseurs des terres et nous laisser le reste ! Ils n’avaient pas compris que le reste, c’était la richesse puisque c’était d’abord l’esprit ! C’est probablement sur ces accords que s’est créée l’élite intellectuelle martiniquaise ».

- Une dernière question. Que penses-tu des querelles qui opposent la France et Pékin au sujet du Tibet et ternissent les futurs Jeux Olympiques ?

« Tout à l’heure, tu citais les interrogations de Voltaire. Le sport n’a pas de couleur de peau et les athlètes ne sont pas responsables de leurs gouvernants. Peut-on prendre les Jeux Olympiques en otage au nom du Tibet et du Dalaï lama ? Certes, les Chinois ont incendié des lamasseries, mais en France, les Révolutionnaires ont détruit les églises et n’oublie pas la séparation de l’Église et de l’État. Pourquoi gâcher la joie du peuple chinois qui est grande, il ne mérite pas d’être humilié. Sur mon nuage, je suis désormais à l’abri de ces agitations inutiles qui mobilisent tant d’énergie destructrice. Je voudrais tant que les hommes s’aiment d’amour. Je penserai bien à eux »...

Fais un beau voyage, Aimé Césaire, et que ton esprit vogue jusqu’aux chutes de Carbet où la nature est si belle qu’elle raconte les premiers matins du monde. Que ferais-tu au Panthéon ou aux Invalides, ce temple froid où s’alignent les tombeaux de pierre de ceux que la France a distingués. Ah, j’ai une idée, tu pourrais t’y réconcilier avec Napoléon qui rétablit l’esclavage en 1802. Une petite discussion sur ce sujet délicat serait la bienvenue...

Une carrière bien remplie

Entré en politique avec le soutien du Parti Communiste, Aimé Césaire devint maire de Fort-de-France de 1945, fonction qu’il assura jusqu’en 2001. Il fut également député de 1946 à 1993, puis président du Conseil régional de Martinique. En 2005, il choisit de quitter la vie politique et la présidence du Parti progressiste martiniquais (PPM). Aimé Césaire est donc resté maire pendant 56 ans et député pendant 48 ans. Un fameux bail !
Après avoir été professeur au lycée de Fort de France (il était agrégé de lettres), il a consacré l’essentiel de sa carrière à l’écriture et à la politique.

• En 1943, André Breton, écrivain, poète, essayiste et théoricien du surréalisme, a préfacé le «Cahier d’un retour au pays natal». Extrait :

« Ainsi donc, défiant à lui seul une époque, où l’on croit assister à l’abdication générale de l’esprit, où rien ne semble plus se créer qu’à dessein de parfaire le triomphe de la mort, où l’art menace de se figer dans d’anciennes données, le premier souffle nouveau, revivifiant, apte à redonner toute confiance est l’apport d’un Noir. Et c’est un Noir qui manie la langue française comme il n’est pas aujourd’hui un Blanc pour la manier. Et c’est un Noir celui qui nous guide aujourd’hui dans l’inexploré, établissant au fur et à mesure, comme en se jouant, les contacts qui nous font avancer sur des étincelles. Et c’est un Noir qui est non seulement un Noir mais tout l’homme, qui en exprime toutes les interrogations, toutes les angoisses, tous les espoirs et toutes les extases et qui s’imposera de plus en plus à moi comme le prototype de la dignité ».

• La fin de l’esclavage : de 1794 à 1848

Le 4 février 1794, 16 pluviôse an II pour être exact, l’abolition de l’esclavage est votée dans les colonies françaises : « La Convention déclare l’esclavage des nègres aboli dans toutes les colonies ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution ».
En fait, ce décret ne sera appliqué qu’en Guadeloupe avant d’être abrogé par Napoléon Bonaparte en 1802. On prétend qu’il a cédé aux pressions de sa femme, Joséphine de Beauharnais, issue d’une famille antillaise de planteurs. Ce n’est que le 27 avril 1848, soit quinze ans après les Anglais, que le gouvernement français publiera les décrets d’abolition de l’esclavage dans les colonies. Sur place, de nombreux colons avaient déjà pris les devants en affranchissant leurs ouvriers. Cette prise de conscience n’empêcha pas les violences...
Nous devrions tous avoir en mémoire le nom de Victor Schoelcher. Le décret d’abolition a abouti grâce à sa ténacité. Alors sous-secrétaire d’État à la Marine, il était proche de Louis Arago, ministre de la Marine. Grâce à leur action conjuguée, 250.000 esclaves noirs ou métis ont ainsi été libérés aux Antilles, à la Réunion et au Sénégal. Par la suite, Schoelcher milita contre la peine de mort, mais il fallut attendre Robert Badinter et le XXIe siècle pour que cette loi soit enfin votée par le Parlement tricolore. Que de temps pour que les mentalités évoluent !


Photo 1 : Aimé Césaire

Photo 2 : Depuis la réforme de 2003, la Martinique est devenue un DROM, c’est-à-dire un département et une région d’outre-mer. Membre de l’Union européenne où elle représente une «région ultrapériphérique, elle bénéficie de «mesures spécifiques» qui adaptent le droit communautaire en tenant compte de ses caractéristiques.

Photo 3 : L'abolition de l'esclavage.

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