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mercredi 31 octobre 2007

Nos vies commencent à s’éteindre le jour où nous restons silencieux...

Lundi dernier, l’institut Yad Vashem a décerné à titre posthume la médaille des Justes à Gilbert Denis qui sauva la vie de Michel Slitinsky durant la seconde guerre mondiale. Venant de Bordeaux, ce jeune homme, d’origine juive, avait miraculeusement échappé à une rafle de la Gestapo. Durant quelques mois, Il trouva refuge dans une ferme située à Coux, près de Montendre, avant de rejoindre le maquis.

Depuis longtemps, l’idée d’une reconnaissance officielle de Gilbert Denis trottait dans la tête de Louis Élias.
C’est en recueillant les confidences des habitants de Coux, regroupées en un livre mémoire, que l’ancien maire adjoint a découvert cette belle histoire de fraternité. Elle lui fut contée par Annette, l’épouse de Gilbert Denis, disparu voici quelques années. « Intéressé par ces événements, j’ai cherché à en savoir plus. Je suis entré en contact avec Michel Slitinsky qui m’a confirmé les faits. Nous avons alors pu constituer le dossier qui a été remis à l’institut Yad Vashem dont le mémorial rend hommage aux personnes qui ont aidé des Juifs à échapper aux Nazis. Gilbert Denis était un homme courageux et il le fallait. Durant la guerre, le maire de Coux était pétainiste et que dire du zélé M. Peuch, sous-préfet de Jonzac »... Réalité confirmée par l’historien James Pitaud.

Que s’est-il donc passé à Coux, durant le second conflit mondial, pour qu’une importante manifestation y soit organisée en présence de délégués français pour Yad Vashem ? Présent, Michel Slitinsky était le mieux placé pour évoquer les faits qui se sont déroulés quand il avait 17 ans. Une époque bouleversée par la guerre, la répression et ces signes distinctifs -l’étoile jaune imposée aux Juifs - qui précipitent les êtres dans la différence et la cruauté. On ne choisit pas sa famille, dit la chanson, on choisit rarement sa religion, ni ceux qui vont la combattre au nom de leur idéologie. Au cours des siècles, les Juifs ont connu de nombreuses persécutions. La guerre 1939-1945 et son cortège d’atrocités ont, une nouvelle fois, démontré que l’homme reste un loup pour l’homme et c’est pourquoi les voix ne doivent jamais s’éteindre.
Si Michel Slitinsky a survécu, c’est parce que des mains se sont tendues sur un chemin jonché d’ornières. Son témoignage, qu’écoutèrent attentivement les enfants des écoles et l’assistance, était poignant.

« Mon prénom, c’est tout »

Du regard de Michel Slitinsky, émane une grande douceur. Il porte en lui la dimension du pardon, celle qu’on atteint quand s’est installé le nécessaire détachement. L’horizon n’est qu’une ligne mouvante et personne ne sait quand il se transforme en immense filet. La peur, il l’a regardée en face. Il peut donc raconter aux élèves, à mille lieues de ces horreurs, ce que fut sa jeunesse quand il se cachait pour échapper aux camps de concentration.
Ayant travaillé sur ce sujet bien particulier de l’histoire contemporaine, les jeunes sont attentifs : ils essaient de comprendre pourquoi l’homme, qu’on dit civilisé, peut se transformer en machine à tuer. Retour en arrière. Dans les années quarante, il ne fait pas bon être juif sous le soleil de France. Pliant l’échine sous l’occupant allemand, Vichy cautionne sa politique. S’ensuit « tout un arsenal des décrets pour bien identifier les Juifs qui se voient interdire certains métiers ». En octobre 1942, quand la Gestapo frappe à la porte des Slitinsky, à Bordeaux, ils savent ce qui les attend. Par chance, leur fils Michel réussit à s’enfuir par les toits.
Dans un premier temps, des amis le dissimulent puis l’un d’eux, Gérard Jacopy, a une idée : il pourrait aller à la campagne, du côté de Coux en Charente-Maritime, dans le cadre d’un retour à la terre. Sur place, il a un relais sur lequel il peut compter, son oncle Gilbert Denis. Cet instituteur dévoué connaît bien les Deveaux, des agriculteurs qu’il n’a aucun mal à convaincre.
Quand Michel Slitinsky arrive à la gare de Montendre, Gilbert Denis l’attend et l’accompagne chez ceux qui vont l’héberger pendant plusieurs mois sans poser de questions : « mes interlocuteurs n’étaient pas bavards. Les ordres étaient donnés en mauvais français et les discussions se faisaient en patois que j’appréciais pour son rythme chantant. Ils m’ont demandé mon prénom, c’est tout » se souvient-il. Le soir, il s’échappe pour écouter la BBC chez les Bourdeleau qui tiennent l’épicerie. La vie suit son cours.
Arrive le moment où il lui faut des papiers en bonne et due forme : il se rend à la mairie où il déclare qu’il a perdu sa carte d’identité. Il en demande une autre au nom de Jean Jean, étudiant, né en 1926 à Bordeaux. Et ça marche !
Huit jours après, il reçoit le précieux document. Sauvé par l’état-civil et des appuis amicaux, il parvient à rejoindre le mouvement Mur qui compte une filière dans le Puy de Dôme. « Nous avons vécu plus de deux ans dans les bois, la neige, le froid, la pluie. C’était le prix de la liberté » avoue-t-il. Dans cette tourmente qui finit en Alsace, il n’oubliera jamais l’aide de Gilbert Denis.

L’émotion de Bruno Denis

Lundi, la médaille des Justes ainsi qu’un diplôme ont été remis à Bruno, fils de Gilbert Denis, par Anita Mazor, ministre de la Culture auprès de l’ambassade d’Israël, en présence de Gérard et Élisabeth Goldenberg, délégués du comité Yad Vashem et de M. Alimi, vice-président du Consis-toire à Bordeaux. Dans la salle municipale, les habitants de Coux étaient présents aux côtés des personnalités et de leur maire, Joël Carré. Le nom de Gilbert Denis, un homme droit, défenseur des valeurs républicaines, figurera désormais sur le grand monument édifié sur la colline du souvenir à Jérusalem. « Qui sauve une vie sauve le monde entier » dit le Talmud. À ce jour, Yad Vashem a désigné 2700 justes en France et 100 dossiers sont en cours. Au 1er janvier dernier, 21758 Justes parmi les Nations de 41 pays ont été honorés. « Ces hommes et ces femmes, non juifs, sont des éclats de lumière dans l’univers infernal de la barbarie nazie » souligna Anita Major.
Ému, Bruno Denis adressa de chaleureux remerciements aux représentants de la fondation Yad Vashem et, devant l’assemblée réunie, il lança : « votre présence me fait chaud au cœur ». Si l’invisible pouvait parler, son père aurait sans doute ajouté semblable compliment. Isabelle Duhamel-Costes, quant à elle, remarqua une coïncidence : celle de la lecture de la lettre de Guy Môquet - le plus jeune des vingt-sept otages du camp de Châteaubriant en Loire-Atlan-tique, fusillés en représailles après la mort de Karl Hotz - et cette remise de distinction. Elle insista sur la transmission de la connaissance auprès des jeunes générations qui permet d’éveiller les esprits. C’est précisément l’instruction, dans le vrai sens du terme, qui favorise les prises de conscience. Pour sa part, Claude Belot évoqua des souvenirs quand, petit garçon avec sa mère et sa grand-mère, il vit arriver les Allemands à Jonzac, durant l’été 40. « Les habitants ont fait semblant de se soumettre, mais en fait, ils préparaient la riposte » .
Durant cette période, le maire, René Gautret, délivrait de faux papiers pour les Juifs et les résistants. « Ici, nous avons des valeurs et c’est la Haute-Saintonge qui a porté les mouvements de résistance ». Il suffit de penser à Pierre Ruibet, qui fit sauter les carrières d’Heurtebise, à Claude Gatineau et à des hommes de l’ombre dont Gilbert Denis...

« Quand les étoiles tombent du ciel, tends la main pour les sauver et réchauffer ton cœur » : l’humanité peut ainsi se reconstruire en disant « non à l’inacceptable »...




1942 : la descente aux enfers
• 1er janvier : 130000 juifs vivent encore en Allemagne.
• 10 janvier : Confiscation de tous les lainages et de toutes les fourrures des juifs.
• 17 février : Les juifs ne peuvent s’abonner ni à un journal, ni à une revue.
• 26 mars : Une étoile juive marque toutes les maisons habitées par des juifs.
• 24 avril : Les juifs ne peuvent utiliser les transports en communs.
• 15 mai : Interdiction aux juifs de posséder chiens, chats, oiseaux...
• 29 mai : Les juifs n’ont plus le droit d’aller chez un coiffeur.
• 9 juin : Les juifs doivent remettre aux autorités tous les vêtements qui ne leur sont pas indispensables.
• 11 juin : Pas de carte de tabac pour les juifs.
• 19 juin : Confiscation des appareils électriques et optiques, des machines à écrire et des bicyclettes.
• 20 juin : Toutes les écoles juives sont fermées.
• 17 juillet : Les juifs aveugles ou sourds n’ont plus le droit de porter un brassard pour les signaler à l’attention des automobilistes.
• 18 septembre : Plus de viande, d’œufs ou de lait pour les juifs.
• 4 octobre : Tous les juifs des camps de concentration allemands sont envoyés à Auschwitz.

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