Le musée de la Poche de Royan sera vendu aux enchères en mai 2008
Le propriétaire est déçu par le manque d'intérêt des élus...
Il y a dix ans, s'est ouvert au Gua, près de Royan, un musée consacré à la Seconde Guerre mondiale. Le but poursuivi par ses deux créateurs, Alain Dodat et Philippe Lelaurain, était de garder allumé le flambeau de la mémoire avec, en tête, cette question cruciale : pourquoi Royan a-t-elle été bombardée trois fois successives par les Alliés alors que la guerre touchait à sa fin ? Les collections présentées au public réunissaient des matériels français, anglais, américain et allemand, dont des pièces rares et originales. À l'heure de la retraite, Philippe Lelaurain est placé devant le fait accompli : les collectivités ne sont pas intéressées par ces témoignages qui seront vendus aux enchères internationales en mai 2008. Une véritable épreuve pour le propriétaire et son épouse qui attendaient un geste de la part des élus. En vain. Conséquence : le musée a fermé ses portes
au public dimanche dernier...
Pour mieux comprendre cette affaire, nous vous proposons de lire la présentation du musée, publiée voici quelques années :
Le musée de la poche de Royan est situé au Gua, à une quinzaine de kilomètres de la Perle de l'Atlantique. Ses "fondateurs", Alain Dodat (aujourd'hui disparu) et Philippe Lelaurain ont tous deux vécu les terribles bombardements de Royan durant la Seconde Guerre mondiale. D'où cette réalisation pour que « vive la mémoire ». Avec une patience infinie, ils ont réuni plus de deux mille objets regroupant des véhicules d'épo-que restaurés, des tenues, des armes et des documents écrits, révélateurs d'un état d'esprit qui a disparu, fort heureusement.
«Ce musée est le plus riche du Sud-Ouest de la France» confie le propriétaire qui se livre volontiers à la confidence : « Dans la région, il ne fait pas l'unanimité parce qu'il ravive des souvenirs. Les écoles y viennent rarement. Les enseignants préfèrent le zoo de la Palmyre ou découvrir les Jardins du Monde. Pourtant, nous représentons une page d'histoire contemporaine et notre souci est l'objectivité. Le second conflit mondial est un événement qu'il semble aberrant d'occulter. Parfois, on nous dit : mais pourquoi avez-vous choisi ce thème, pourquoi remuer le passé ? Tout simplement parce que la vérité doit être regardée en face. Les jeunes générations ont le droit de savoir ce qui s'est passé à Royan, bombardée par "erreur" à trois reprises par les Alliés alors que le conflit touchait à son terme. Les nombreuses photos que nous exposons sont révélatrices des destructions commises ici pour une cause qui reste encore floue »...
Vendre à des collectionneurs étrangers ?
C'est pour rendre hommage à cette ville "martyre" que Philippe Lelaurain a ouvert ce musée, dont le mérite est d'apporter un éclairage particulier. On trouve des matériels très rares comme la moto-chenille Kettenkrad ou le schwimmwagen, un véhicule amphibie original. Un char (Sherman M4 A1), enterré dans les dunes, a été remis en état. Chaque tenue (dont l'une a été offerte par le fils du Maréchal Leclerc) est présentée avec une fiche explicative. « Cet endroit est le lieu de retrouvailles. Un vacancier allemand a reconnu son père sur l'une des photos. Un ancien soldat américain, caché dans une famille de la région, a retrouvé son amie Suzanne. Je l'ai aidé dans ses démarches. Quand ils se sont revus, nous avions presque la larme à l'œil ! » Les histoires se succèdent...
La série d'affiches, éditée entre 1939 et 1945, attire le regard. C'était l'époque de la propagande contre le bolchevisme. Le gouvernement de Vichy incitait les « populations abandonnées à faire confiance à l'occupant allemand ». Les jeunes, quant à eux, étaient invités à entrer dans la légion.
Certains documents entraînent un malaise. Néanmoins, et avant de porter un jugement, il est indispensable de se replacer dans le contexte de l'époque pour comprendre les motivations des belligérants. Aujourd'hui, des leçons ont été tirées. L'Europe a permis à des états, autrefois opposés, de se regrouper au sein d'une même communauté économique. La stabilité est devenue synonyme de paix.
En 1996, le musée de la poche de Royan a reçu le prix du Trophée des Découvertes décerné par le Comité Régional du Tourisme de la région Poitou-Charentes. « Nous accueillons environ 20.000 visiteurs par an. Pour équilibrer nos comptes, il en faudrait 25.000 » admet le propriétaire dont le moral a parfois tendance à fléchir. « Nous ne recevons aucune subvention de la collectivité. Pourtant, j'ai encore de nombreux objets à installer. Nous manquons de place et il est impossible de s'agrandir. Nous aimerions trouver un endroit plus stratégique mais où ? Dans quelques années, nous serons sans doute obligés de vendre ces collections à d'autres musées, étrangers vraisemblablement car la demande est réelle » ajoute-t-il.
Rendez-vous en mai 2008.
« Les élus m'ont laissé tomber »...
À 70 ans, Philippe Lelaurain et sa femme viennent de prendre leur retraite. Dimanche dernier, ils ont fermé officiellement les portes du musée, avec beaucoup de tristesse et d'amertume. Pourquoi ? Parce que depuis un an, ils ont contacté les collectivités pour les sensibiliser à leurs collections, aussi variées qu'importantes. « Elles représentent dix ans de travail. Nous avons acheté tout ce que nous avons pu trouver sur la deuxième Guerre mondiale. Comme je souhaitais vendre l'ensemble, j'ai proposé à la Communauté d'Agglomération de Royan de l'acquérir pour la somme 1,5 million d'euros avec le terrain de 5000 m2, le bâtiment de 1500 m2 doté de l'air conditionné et du chauffage » explique-t-il.
Le montant étant estimé "trop cher", il n'a pas été donné suite. Philippe Lalaurain a poursuivi sa "quête" mais en vain, le conseil municipal de Royan n'ayant même pas évoqué la question en séance publique. Quant aux "grands" élus, « je les ai invités, mais je ne les ai pas vus. Didier Quentin m'a toujours dit qu'il me soutiendrait. Toutefois, j'attends qu'il se manifeste ! Idem pour la gauche, j'ai entendu des paroles formidables. Toutefois, j'ignore la position de Régine Joly, proche de Ségolène Royal ». Et d'ajouter, franchement désabusé : « quand je pense que je connais les élus du secteur depuis des années, que je suis encarté et que j'ai même collé des affiches pour eux, je suis écœuré ! Tout le monde a botté en touche. On m'a dit : si Belot est d'accord, on te suivra, sinon... J'ai très bien compris que Belot n'était pas intéressé. Les gens qui me téléphonent sont surpris. Ceux qui ont vu le reportage sur TF1 vont plus loin et s'interrogent sur le bon sens historique de la classe politique locale. Et dire qu'elle est la première à prôner le devoir de mémoire »...
À la guerre comme à la guerre, c'est pourquoi Philippe Lelau-rain a décidé de faire appel à un commissaire priseur basé à Munich, Hermann Historica, spécialiste des matériels et équipements militaires. Il organise deux grandes ventes par an, au printemps et à l'automne. Dans quelques jours, une équipe d'experts fera l'inventaire du musée, soit 2.600 objets à photographier et filmer afin de réaliser un catalogue tiré à 40.000 exemplaires. Il sera diffusé auprès de la large clientèle dont dispose ce cabinet.
L'info sera également mise en ligne, sur internet. Bien sûr, des lots seront composés. « J'ai déjà reçu des appels des musées du Pas-de-Calais et de Normandie qui sont intéressés » avoue Philippe Lelaurain.
La vente aura lieu en mai 2008 au musée du Gua et à Munich où une grande salle, dotée d'écrans lumineux, sera mise à la disposition des acheteurs. Ils pourront ainsi faire leurs enchères en direct durant les deux ou trois jours que devrait durer cette opération. Des lignes téléphoniques internationales seront créées pour l'occasion.
Cette vente devrait faire la une des médias. Pourtant, Philippe Lelaurain aurait aimé suivre une autre voie, celle de conserver le musée où il est implanté. Nul n'est prophète en son pays, dit-on...
Les Américains ont "testé" le napalm sur Royan : une horreur...
Dans les années trente, Royan était une ville séduisante qui possédait un casino et de superbes villas. Deux photographes de talent, René Jacques et Jacques-Henri Lartigue ont immortalisé ces moments intimes où Sachy Guitry, Yvonne Printemps et autres célébrités passaient leurs étés entre sable et tapis vert. Puis survint la guerre.
Le secteur royannais était étroitement surveillé par les troupes allemandes. Les nombreux blockaus de la grande côte, dont certains sont encore intacts, en sont les témoins. Alors que la fin des hostilités était prévisible, un événement terrible se produisit dans la nuit du 4 au 5 janvier 1945. Venant du Lincolshire en Angleterre, 347 bombardiers Lancaster lâchèrent sur la ville (c'est-à-dire sur les civils) 1700 tonnes de bombes de quatre catégories : soufflantes, défensives à éclats, incendiaires et à retardement, très meurtrières dans les heures qui suivirent. La deuxième vague fit un nombre de morts encore plus conséquent que la première. L'agglomération fut détruite à 60 %. Entre 600 et 1000 personnes perdirent la vie... contre 35 du côté allemand. Inutile de vous décrire la colère de la population qui ne comprenait pas pourquoi elle avait servi de cible aux Alliés : « on a beaucoup épilogué sur cette erreur monumentale : jeunes pilotes inexpérimentés, retour d'Allemagne avec des chargements de bombes qu'ils ne savaient plus où larguer, rivalité politique entre Biarritz, voire Arcachon et Royan » souligne Philippe Lelaurain. « Je pense plus sérieusement qu'il y a eu une confusion de sites, les pilotes pensant qu'une garnison allemande se trouvait dans Royan même. On parle aussi d'un retard malencontreux dans la transmission des ordres ». Qu'importe, le mal était fait et il ne s'arrêta pas là.
Le 14 avril, 1200 forteresses volantes américaines prirent le relais en envoyant 7000 bombes sur Royan et ses alentours. Ce jour-là, dit-on, il y avait plus d'aviateurs dans le ciel que d'Allemands au sol ! La cité fut rasée à 90 %. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, le 15 avril sonna l'heure de l'apocalypse avec une dernière offensive : 725.000 litres de napalm (1) furent déversés sur la grande périphérie de Royan. C'était la première fois que les Américains testaient cette arme nouvelle sur le sol français. Sans commentaires ! Le 17 avril suivant, les combats s'achevèrent avec la capture de l'Amiral Hans Michahelles, commandant la poche de Royan et ses hommes.
Le 8 mai, l'armistice était signé, proclamant la reddition sans condition de l'armée allemande devant les troupes alliées.
Pourquoi Royan a-t-elle été sacrifiée inutilement ? Le Général de Larminat a été accusé d'être à l'origine de ce «carnage» ainsi que le général américain Royce, "blanchi" par la suite. Le procès dura six mois...
« Cinq années ont été nécessaires pour reconstruire Royan. Quand on sait que cette pauvre ville a servi de champ d'expérimentation au napalm, je suis consterné » remarque Philippe Lelaurain...
Dans ce domaine, il est vrai, les Américains n'éprouvent aucun remords et il est toujours étonnant de les entendre faire la morale aux autres : lors de la guerre en Serbie, ils ont utilisé sur Belgrade, sans aucun complexe, des bombes au graphite et à l'uranium enrichi interdites par la Convention de Genève. Cette information a été dévoilée par le journal Newsweek. Et depuis, les armes ont encore évolué...
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'ai appris dans un livre nommé A PEOPLE'S HISTORY OF AMERICAN EMPIRE que la ville de Royan avait servi de cible pour tester de nouvelles armes américaines, en l'occurence le napalm.
L'auteur, Howard ZINN, historien américain, était à bord d'un de ces avions projetant ces bombes qu'ils nommaient à l'époque "sticky fire".
Il donne des chiffres effrayants ; d'après lui, 100 000 personnes auraient été tuées lors de ces bombardements et autant blessées.
D'après Zinn, l'armée américaine venait de découvrir cette nouvelle arme et c'eût été trop bête de ne pas l'essayer...
Je suis révoltée de voir que l'on ne parle de ces événements ni dans les livres d'histoire américains (ce qui n'est pas étonnant, et c'est bien parce qu'il y a énormément d'"omissions" dans ces livres que Howard Zinn accomplit son travail d'historien) ni même dans les nôtres. Les américains ne sont décrits que comme nos libérateurs.
Les villes de ma Normandie n'ont pourtant pas été détruites que par les allemands, loin de là...
Je suis triste d'apprendre la fermeture de votre musée et j'aimerais que la lumière soit faite sur ces événements.
Ces faits ne sont pas anodins, ils font partie d'une longue liste d'actes de guerre commandités par un petit groupe de personnes influentes. La guerre est TRES profitable pour certains.
Rappelez-moi quelle rallonge budgétaire faramineuse le gouvernement américain vient d'allouer à l'armée pour financer leur guerre impérialiste en Irak ???
Merci pour avoir fait ce musée pour la mémoire.
Irene H