Les femmes siégeant à l’Académie française sont peu nombreuses. Parmi elles, se trouve l’écrivain Danièle Sallenave. Distinguée à plusieurs reprises pour ses ouvrages, elle a reçu, entre autres, le Prix Renaudot pour « Les portes de Gubbio », le Grand prix de la littérature de l’Académie française et, plus près de nous, le prix Jean Monnet de la Littérature européenne du département de la Charente pour « Castor de Guerre ». Née à Angers, elle a passé sa jeunesse dans le village de Savennières où ses parents étaient instituteurs. Dans ce terroir viticole renommé, situé au cœur de l’Anjou, elle a lancé un festival. Comme Joachim du Bellay, elle n’a pas oublié ses racines !
Cette Normalienne, agrégée de lettres, a fait sa carrière à l’université de Paris X Nanterre où elle enseignait la littérature. Aujourd’hui, elle se consacre entièrement à l’écriture. Femme attentive au monde qui l’entoure, subtile et avisée, elle apprécie les échanges tant avec le public que les étudiants. Les étudiants qu’elle a croisés dimanche dernier à l’Académie de Saintonge ont passé l’âge de fréquenter les amphis, mais cette rencontre a été intéressante. De plus, c’était la première fois (en dehors de Pierre Henri Simon et de Jean Mesnard, de l’Académie des Sciences morales et politiques) que l’Académie de Saintonge recevait un membre éminent de l’Académie française à Saintes…
• Danièle Sallenave, vous êtes bien connue dans le monde littéraire et votre entrée à l’Académie Française, en 2011, est une preuve évidente de votre talent. Vous attendiez-vous à rejoindre le 30e fauteuil de cette docte assemblée ?
Non, je ne m’y attendais pas, le verbe ne convient pas ! La première fois où l’on m’a fait comprendre que je pouvais faire acte de candidature, c’était une idée tout à fait nouvelle pour moi. Je n’y avais jamais pensé. Quand j’étais jeune, j’étais comme tout le monde, c’est-à-dire un peu ironique à l’égard de l’Académie. Ensuite, j’ai réfléchi et j’ai réalisé que le travail dans lequel je m’étais engagée au fur à mesure des années, l’écriture, la transmission, le soutien à la langue française, trouvaient leur place sous la Coupole. Lorsque j’ai été élue en avril 2011, j’étais heureuse de penser que j’allais pouvoir donner à des actions de ce genre le soutien de cette prestigieuse institution.
• Vous avez succédé à Maurice Druon. Le connaissiez-vous ?
Je l’ai rencontré une seule fois, lorsque j’ai eu le Grand Prix de l’Académie en 2005 pour l’ensemble de mes livres. Jusqu’alors, j’avais à son endroit des positions plutôt négatives. Je me souvenais des années 70 où il avait incarné typiquement, après mai 68, aux yeux de tout un milieu d’intellectuels, d’artistes, d’auteurs, une position « réactionnaire ». Quand j’ai su que j’allais lui succéder, je me suis intéressée à son œuvre. Sur bien des points, j’ai révisé le jugement un peu hâtif que j’avais pu porter sur lui. Je ne partage toujours pas ses positions politiques, qui relèvent d’une vision assez autoritaire de la société. Mais sur la langue, la transmission, la place de la France dans le monde, sur la défense de la francophonie, je me sens tout à fait proche de lui.
• Quand avez-vous publié votre premier livre ?
J’ai publié mon premier livre à l’âge de 34 ans. J’avais eu l’envie d’écrire assez tôt, mais le désir de publier m’est venu quand j’ai rencontré des auteurs, des éditeurs. Écrire était un besoin profond, mais j’ai compris que cela n’a de sens que si l’on est lu, donc publié. Pour moi, écrire, c’est offrir un lien entre l’auteur et le lecteur, entre les lecteurs aussi. Car il s’agit de mieux comprendre ce qui nous entoure par l’essai, le roman, la fiction. La langue crée cette relation. Je suis très attachée à la langue, à l’expression verbale.
• Outre la langue française, vous défendez les variantes que constituent les patois ?
En France, il y a la langue française et aussi des langues issues d’autres univers linguistiques comme le Breton ou le Basque. Mais la langue française contient aussi des variantes locales, des langues régionales ou des patois. Les défendre est capital pour conserver dans le présent des traces du passé. C’est l’histoire de notre pays, son patrimoine qui est menacé.
Si je retourne avec plaisir dans ma région du Val de Loire pour y animer un festival ou si je participe dimanche à Saintes à l’Académie de Saintonge, c’est entre autres par attachement à la langue française. On ne doit pas oublier quelle est multiple ! Elle a des origines régionales et nous devons sauvegarder certains mots parce qu’ils font partie de sa richesse et de son passé.
• Récemment, le Ministère de la Culture a mis de côté certains grands projets. Pensez-vous que l’époque des restrictions est arrivée ?
Dans une période où il faut absolument en finir avec certains errements budgétaires, il est inévitable - et pas forcément agréable - que certaines opérations soient provisoirement suspendues. Le point sur lequel il ne faut pas céder, c’est l’édition, le soutien aux librairies indépendantes, le prix unique du livre. Mais l’autre point concerne la formation, qui relève de l’éducation. Les deux ministères, Culture et Éducation, devraient travailler la main dans la main parce qu’il faut former les futurs lecteurs. Assurer des ponts solides entre culture, éducation et formation n‘est pas ce qui est le plus coûteux. Personnellement, je passe beaucoup de temps dans les collèges, les écoles élémentaires, le cours préparatoire ! Car c’est là que tout commence…
• Face à internet, à la tablette, le support papier, et plus généralement le livre, sont-ils en danger ?
Je suis préoccupée effectivement. Car ces moyens nouveaux de communication supposent qu’on lise et qu’on sache lire. Et peut-être l’exigent-ils plus que jamais ! Ce qui compte, c’est une bonne compréhension. Actuellement, on consulte beaucoup l’informatique pour lire la presse, trouver des articles de l’Encyclopédie. Les jeunes (et les moins jeunes !) qui vont sur internet doivent pouvoir bien saisir le contenu du texte qu’ils ont sous les yeux. Si on lit de travers, ce peut être catastrophique.
Je ne suis pas hostile aux supports numériques même si personnellement, je préfère le livre papier ! On peut prendre connaissance d‘un roman ou d‘un poème sur une tablette, facilement transportable. Mais les moyens électroniques ne doivent pas nuire à l’édition et surtout à la librairie. Le livre n’est pas mort, du reste, loin de là. De très nombreux livres ne sont accessibles que dans l’édition papier.
• Durant votre carrière, vous vous êtes exprimée sur de nombreux sujets, dont le conflit palestino israélien. Comment avez-vous réagi aux caricatures de Mahomet publiées la semaine dernière par Charlie Hebdo ?
La liberté d’expression est un droit fondamental, mais il n’y a pas de liberté sans responsabilité et du pouvoir politique et de chacun d’entre nous. Ces caricatures, je les ai regardées, je les trouve misérables. Elles ne sont même pas drôles. Ce n‘est pas pour autant que Charlie Hebdo doit être interdit ! Ma mère disait qu’avant de parler, il fallait toujours tourner sept fois sa langue dans sa bouche. J’aimerais rencontrer le directeur de ce journal et lui dire : Avez-vous tourné sept fois votre langue dans votre bouche avant de faire cette intervention publique ? Je ne le crois pas !
• Dimanche dernier l’Académie de Saintonge a été très honorée de vous recevoir. Quel message avez-vous délivré à ses membres ?
Danièle Sallenave et Jean Mesnard présidaient l'Académie de Saintonge dimanche dernier à Saintes
La « grande » Académie, l’Académie française a un rayonnement incontestable du fait même de son ancienneté. Et de la nature de sa mission : l’Académie française est la seule au monde à avoir été chargée par le pouvoir politique de la « défense et illustration » de la langue nationale, la langue française.
Mais elle doit se faire mieux connaître et comprendre. Participer aux travaux de l’Académie de Saintonge en est pour moi l’occasion. Placée sous le signe d’une dialectique entre l’unité et la diversité historique de la langue française.
L’Académie française doit créer des liens avec ces rassemblements de personnalités de talent, écrivains, peintres, artistes, historiens, réunis sous le signe d’une Académie. Pour moi, cela fait partie de mon action de nouvelle académicienne que de découvrir les actions que poursuivent les Académies régionales. C’est la première fois que je suis invitée à la cérémonie de remise des prix d’une Académie en dehors de Paris. J’espère bien continuer !
• Marie-Dominique Montel, directrice de l’Académie de Saintonge, a réalisé de vous un portrait pour la télévision ?
En effet. Avec Marie-Dominique Montel et Christopher Jones, nous nous sommes très vite compris. Ce film dévoile ma vie quotidienne, à Paris et à la campagne. Il ne se limite pas à l’écriture et à la littérature. J’y apparais telle que je suis.
• Pour conclure, quels sont vos projets ?
Dans la collection des « Dictionnaires amoureux », je travaille sur le dictionnaire amoureux de la Loire, région où je suis née. C’est un fleuve que j’aime beaucoup.
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