Samedi dernier, au centre culturel de Montendre, Jacques Bertrand, délégué régional Sud Ouest du Grand Orient de France, a animé une conférence sur un thème d’actualité : être franc-maçon au XXIe siècle.
Cette conférence, organisée par le cercle philosophique et culturel de Montendre que préside Jean-Michel Mercier, avait attiré un nombreux public, profanes et francs-maçons. Après la Grande Loge de France qui avait eu la même démarche voici quelques années, le Grand Orient se devait, lui aussi, d’apporter son témoignage.
Pour de nombreuses personnes, la franc-maçonnerie demeure un sujet complexe qui apparaît, de temps à autre, dans la presse. Respectée par les uns, regardée avec suspicion par les autres, elle ne laisse pas indifférent.
D’ailleurs, certains estiment qu’il ne faut pas parler d’une franc-maçonnerie, mais de “franc-maçonneries“ tant elle peut avoir de multiples visages, opposés parfois, qu’ils soient politiques ou philosophiques.
Qui composent les loges ? À quoi servent-elles ? Quels sont les travaux des “frères“ ? Pourquoi leurs activités restent-elles secrètes ? Autant d’interrogations qui appellent des réponses.
S’ouvrir sur l’extérieur
Avec précision, Jacques Bertrand a levé un pan du voile. Si la franc-maçonnerie n’a rien à cacher, elle est tenue au secret, c’est pourquoi “l’extérieur“ connaît peu ses rituels initiatiques hérités du passé. Les termes qu’elle utilise rappellent ceux des bâtisseurs d’antan.
Elle possède ses propres codes avec, pour fondements principaux, la tolérance et l’humanisme.
Dans la rue, le franc-maçon ne porte pas de signe distinctif. Ce n‘est pas un être étrange venu de Saturne ! Les “décors“ qu’il arbore (tablier, gants, ornements) sont réservés aux “tenues“ (réunions).
Depuis une vingtaine d’années, les “loges“ ont pris conscience qu’elles doivent communiquer pour être mieux comprises. En se présentant simplement, en répondant aux questions des journalistes, la franc-maçonnerie offre une approche accessible.
Le conférencier a parlé de l’obédience qu’il connaît le mieux, le Grand Orient, courant de pensée qu’il a rejoint après son engagement politique (il a appartenu au conseil municipal de La Rochelle, dans l’équipe du regretté Michel Crépeau). En ce choix, il a trouvé un accomplissement qui lui permet de partager avec le public et en toute franchise « une expérience enrichissante ».
De par le monde, le Grand Orient compte 1 200 loges et 50 000 membres : « La franc-maçonnerie est un mouvement universaliste œuvrant pour le progrès de l’humanité, avec un idéal de solidarité ».
Travaillant sur des sujets de société, elle apporte sa pierre à l’édifice de la réflexion.
Pourquoi devient-on franc-maçon ? « Je ne peux pas donner de réponse car chaque démarche est personnelle » explique Jacques Bertrand. Les assemblées se déroulent dans un temple, sans connotation religieuse.
Basé sur les principes d’égalité, de fraternité et de laïcité, Le Grand Orient défend moult causes : « Nous sommes contre le port de la burqa dans les espaces publics, par exemple, parce que c’est une atteinte à la liberté de la femme. Nous combattons entre autres l’intolérance, le sexisme, l’antisémitisme, l’homophobie ».
Le Grand Orient apporte le fruit de ses réflexions à l’échelle européenne et travaille sur les problématiques du bassin méditerranéen.
Jacques Bertrand se veut avant tout porteur de cette “flamme“ qui fait avancer les mentalités : Le monde est certes difficile, mais il ne faut jamais baisser les bras…
En se retrouvant sur des causes communes, la société actuelle, matérialiste et individuelle, sera mieux armée pour gommer les inégalités.
La France a la chance d’être un pays démocratique. Ce n’est malheureusement pas le cas dans de nombreux pays (Afrique, Asie) où les loges (quand elles existent) peuvent effectivement apporter une “ouverture“ face à des gouvernements peu sensibles à la circulation des idées.
Pas (encore) de femmes au Grand Orient !
À cet exposé, succéda un débat. Parmi les interrogations, Philippe Lalande demanda pourquoi le Grand Orient ne compte aucune femme. Le sujet est évoqué régulièrement. Pour l’instant, les frères ne sont pas favorables à leur entrée. Ces dernières ont des loges qui leur sont réservées.
En ce qui concerne l’obligation de “secret“ qui entoure la franc-maçonnerie, le conférencier rappela les persécutions dont des frères ont été victimes dans le passé. Aujourd’hui encore, cette appartenance peut être un obstacle dans la recherche d’un emploi.
« Il est important d’expliquer ce qu’elle est, son histoire, pourquoi à certaines périodes, elle s’est beaucoup ouverte sur les problèmes de société, pourquoi elle a été persécutée durant la dernière Guerre Mondiale et pourquoi les générations d’après l’Occupation, qui ont été très marquées par cette période de persécutions, ont eu tendance à se replier sur elles-mêmes » expliquent des francs-maçons.
Une question n’a pas été posée : celle de savoir si, à Montendre, il existe un lien entre les deux loges que compte la ville, Grand Orient et Grand Loge de France. À l’échelon national, les deux obédiences entretiennent de bonnes relations. Dans la cité des Pins, les contacts seraient plus difficiles pour des raisons qui n’auraient rien de philosophique, dit-on…
Quelle est la morale à retenir de cette rencontre ? Que chaque franc-maçon doit rester en éveil et faire preuve de tolérance… comme d’aucun d’entre nous d’ailleurs !
À l’occasion de son centième anniversaire, la loge maçonnique de Montendre, les Pionniers du Progrès, a inauguré une stèle en mémoire de sept de ses membres, au nouveau cimetière de Montendre. La conférence qui a suivi devait être faite par Patrice Billaud, Premier Grand Maître Adjoint du Grand Orient de France. Souffrant, il a été remplacé par le rochelais Jacques Bertrand qui occupe des fonctions importantes au sein du Conseil de l’Ordre du GO.
• L’histoire de la franc-maçonnerie
Le terme freemason (franc-maçon) est attesté pour la première fois en 1376. En effet, dès le XIIIe siècle, on connaît des loges de tailleurs de pierre en France, Allemagne et Angleterre. Les origines de la franc-maçonnerie pourraient remonter aux confréries de bâtisseurs de Moyen-Âge ; d’autres y voient une attache plus lointaine avec l’Égypte.
Autrefois, l’enseignement était essentiellement oral, c’est pourquoi les premiers textes maçonniques sont relativement tardifs.
Les bâtisseurs
Lorsque les grands chantiers de cathédrales s’achèvent à la fin du Moyen-Âge, les maçons “opératifs“, qui travaillent de leurs mains, laissent entrer dans leurs loges des « spéculatifs », c’est-à-dire des penseurs qui ignorent tout des techniques de construction. Pendant tout le XVIIe siècle, les loges accueillent des chercheurs.
Naît alors une grande loge sur une idée de francs-maçons protestants qui imaginent un nouveau concept, celui de l’obédience. En 1723, les constitutions d’Anderson (pasteur écossais) sont une compilation des anciennes règles maçonniques. Elles sont appelées à devenir la norme que les maçons devront respecter : « le franc-maçon est un homme de bien, loyal, respectant Dieu et la religion, vénérant le principe suprême qui porte le nom de Grand Architecte de l’Univers ». Cette franc-maçonnerie, issue de Grande Bretagne, est exportée dans le monde entier.
En 1735, est formée la première obédience française, une grande loge reconnue par l’Angleterre où l’on retrouve Charles de Montesquieu. Furieux de ce contre-pouvoir, le Pape promulgue la première condamnation contre la franc-maçonnerie en 1738. En 1740, Paris compte six loges. Louis XV est inquiet et fait surveiller les “frères“ qui les composent. On frôle la persécution, dit-on. À cette époque, un ancien ordre écossais, dit Heredom de Kilwinning, transmet ses connaissances à la première loge écossaise parisienne fondée en 1747. Georges Washington, futur président des États-Unis, figure dans ses rangs (aujourd’hui, les USA sont la première puissance maçonnique).
En 1769, la célèbre “Loge des neufs sœurs“ regroupe des gens en vue dont Voltaire et Benjamin Franklin. Des loges voient le jour en province.
C’est en 1773 que le Grand Orient est créé. À la veille de la Révolution, la France et ses colonies comptent 700 loges où travaillent près de 40 000 frères.
Au XVIIIe siècle, l’idéal majeur est la tolérance. Tout le monde ne peut pas être maçon : sont exclus « les Juifs pour incompatibilité de tradition, les domestiques, les employés et les comédiens parce qu’ils sont irréligieux ». La franc-maçonnerie souffre de la Révolution dont elle ne serait pas l’instigatrice (les avis divergent). Son Grand Maître vote la mort de Louis XVI et renie son ordre.
Après la tourmente, la franc-maçonnerie refait surface avec le frère Rœttier de Montaleau. Elle connaît son épopée sous l’Empire, protégée par Napoléon 1er. Après la chute de l’Empereur, les loges évoluent. En 1849, est promulguée en France la première Constitution de l’Ordre maçonnique.
De 1861 à 1939, la franc-maçonnerie devient “l’école de la République“ avec le Grand Orient. L’ordre s’affirme comme républicain et anticlérical : le radicalisme y est omniprésent. Les libres penseurs prônent un socialisme laïc et l’indépendance religieuse. À partir de 1898 jusqu’en 1918, le G.O., proche des forces de gauche, influence la rédaction des lois et pèse lourd dans la séparation de l’Église et de l’État. La Grande Loge de France, au contraire, s’écarte de l’action publique et privilégie la recherche philosophique qui contribue, selon elle, à l’amélioration des conditions de vie. La Grande Loge Nationale de France est fondée en 1948.
Des femmes à partir de 1952
Entre les deux guerres, la franc-maçonnerie est représentée par des hommes tels qu’Édouard Herriot, Léon Blum ou Vincent Auriol. Durant la seconde guerre mondiale, elle est pourchassée par les nazis. Le gouvernement de Vichy supprime les sociétés secrètes par une loi en date du 13 août 1940. En 1943, Charles de Gaulle signe une ordonnance qui rétablit l’existence des associations maçonniques.
En 1952, la Grande Loge Féminine de France est fondée. En 1958, le Grand Orient stipule une obligation de laïcité pour ses nouveaux membres. En 1964, un traité d’alliance est conclu entre le G.O. et la GLF. Certains frères refusent ce compromis, estimant que l’idéal du GO. est différent du leur et n’a plus grand rapport avec la franc-maçonnerie traditionnelle.
Aujourd’hui, la franc-maçonnerie française se retrouve dans différentes loges dont les deux principales restent la GLF et le GO. Seule la Grande Loge Nationale de France est reconnue par la Loge Unie d’Angleterre et la maçonnerie internationale.
(Source Éditions du Rocher)
L’homme qui entre en loge est présenté par un “frère“ qui propose sa candidature au groupe. S’il obtient une majorité de boules blanches, il quitte alors le monde “profane“…
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