On ne s’attendait guère à pareille nouvelle durant le week-end pascal. Bruno Guigue, sous-préfet de Saintes depuis septembre dernier, a été révoqué par sa direction pour avoir manqué à son devoir de réserve en publiant une rubrique “violemment anti-israëlienne“ sur internet. Les Saintais n’en sont encore pas revenus.
La nouvelle, tombée en fin de semaine, a été rapidement relayée. Le sous-préfet de Saintes, Bruno Guigue, venait d’être limogé par Michèle Alliot Marie pour avoir tenu sur le site internet oumma.com, des propos anti-israéliens dont certains passages auraient provoqué de vives réactions dans les hautes sphères du Gouvernement, dit-on.
À cette annonce, les Saintais eurent un moment de stupéfaction. Connaissant Bruno Guigue depuis plusieurs mois, ils en apprécient l’intelligence et les qualités humaines. Quelle était donc cette histoire et s’agissait-il de la même personne ? Sur le petit écran, la réaction de Jean Rouger a été révélatrice de l’effet produit : surpris par l’événement, le nouveau maire s’est montré fort discret dans ses explications.
Il est vrai qu’en quelques heures, Bruno Guigue s’est taillé une belle part dans les journaux télévisés nationaux. Il a bénéficié d’un temps d’antenne aussi long que s’il avait braqué une banque ou kidnappé trois gendarmes. C’est ça, la télé : entre les problèmes de la Chine et du Tibet, la difficulté qu’a la flamme olympique à éclairer le monde, l’éventuel boycott des Jeux de Pékin et les analyses géopolitiques d’un sous-préfet de Charente-Maritime, les Français ont été gâtés en informations… Eux qui étaient déjà confrontés à un problème de taille : les fortes giboulées de printemps !
Au sujet des Droits de l’Homme
Le Ministère de l’Intérieur reproche donc au sous-préfet de Saintes d’avoir écrit un long article intitulé « quand le lobby pro-israélien se déchaîne contre l’Onu » sur oumma.com, « site web créé en septembre 1999 qui se définit lui-même comme une initiative indépendante de nature culturelle, civique et informative destinée à la communauté musulmane francophone » (1). À la question : Pourquoi vous êtes-vous exprimé sur ce site que d’aucuns qualifient « d’islamiste ? », Bruno Guigue souligne qu’il s’agit « d’un site de grande audience qui permet de s’adresser à une partie de la population qui ne se retrouve pas dans les medias officiels et la pensée dominante ». Par ailleurs, ajoute-t-il « les grands titres n’ont jamais publié mes chroniques, sauf une fois dans Libération ».
L’article incriminé est, en fait, une réaction à un commentaire paru dans le Monde où plusieurs personnalités s’érigeaient contre les décisions du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU. En effet, depuis le début de l’année, ce dernier tire régulièrement la sonnette d’alarme contre Israël « en raison de ses constantes attaques et incursions dans le territoire palestinien occupé, et particulièrement les plus récentes dans la Bande de Gaza qui se sont soldées par la perte de plus de 125 vies et des blessés parmi les civils palestiniens, dont des femmes, des enfants et des bébés ». En même temps, Louise Arbour, haut commissaire de l’ONU et ancien procureur général près le Tribunal international pour l’ex Yougoslavie, a condamné devant les 47 pays membres « les tirs de roquettes de militants palestiniens contre des cibles israéliennes civiles ».
S’intéressant aux problèmes du Proche Orient depuis plus de vingt ans, Bruno Guigue, normalien et énarque de 46 ans, a laissé sa plume courir sur le papier, dans un style direct et argumenté qui a fait sortir de leurs gonds les “intellectuels“ auxquels il s’adressait. Plusieurs phrases se passent de commentaires : « Israël, seul état au monde où les snipers abattent des fillettes à la sortie des écoles ... Les odieux attentats du 11 septembre ont fait dix fois moins de victimes que le siège de Beyrouth par les forces de défense israéliennes en 1982... Les admirateurs occidentaux doivent aussi se confondre d’admiration devant les geôles israéliennes où, grâce à la loi religieuse, on s’interrompt de torturer durant le shabbat ».
Il est évident que le CRIF (Conseil des Institutions Juives de France) ne pouvait que réagir à de telles déclarations.
À aucun moment, Bruno Guigue, dans ce texte mis en ligne le 13 mars, ne mentionne qu’il est sous préfet de Saintes. Seules les grandes écoles dont il est issu - École Normale Supérieure et l’ENA - apparaissent. « Ces analyses sont faites en dehors de mes fonctions. Il s’agit d’une matière qui n’a rien à voir avec l’activité professionnelle qui est la mienne et les responsabilités que j’exerce localement » a-t-il confié au journal “Le Parisien“.
Des propos “inacceptables”
La toile étant minutieusement observée, elle s’est rapidement refermée. Vendredi dernier, Michèle Alliot-Marie a révoqué Bruno Guigue au motif qu’il y avait là « un manquement caractérisé à l’obligation de réserve auquel est soumis tout fonctionnaire ». Par ailleurs, elle a été choquée par des « propos inacceptables ». Jacques Reiller, préfet de Charente-Maritime, rappelle quant à lui que « la fonction publique repose sur une impartialité et une neutralité qui correspondent à l’égalité de traitement de tous les citoyens ».
Autrement dit, vu ses fonctions actuelles, Bruno Guigue ne pouvait exposer ses points de vue personnels sur un sujet qui fait d’ailleurs couler beaucoup d’encre. Toutefois, si le fonctionnaire a manqué de prudence, il semble que l’universitaire, sensible aux équilibres orchestrés par les grandes puissances, ait éprouvé le nécessaire besoin d’écrire. Malheureusement pour lui, c’était une ligne jaune à ne pas dépasser.
À Saintes, l’émotion est grande. Ne vivant pas de plein fouet le conflit israélo-palestinien, les habitants, plus attentifs aux crues de la Charente qu’aux actions du Hamas, n’ont pas vraiment saisi toutes les subtilités de l’affaire. Les témoignages de sympathie envoyés à Bruno Guigue ont été nombreux. Évidence, la cité santone aimait son sous-préfet qui faisait preuve d’humanité et de compréhension dans sa manière de gérer les dossiers. Ce dernier devrait retrouver un poste dans une collectivité territoriale.
Isabelle Duhamel Costes, sous-préfet de Jonzac, assurera l’intérim en attendant la nomination (rapide) de son successeur. Du travail en plus pour cette femme efficace dont le passe-temps est la peinture, une discipline qui ne contrarie en rien le devoir de réserve !
1 - Sur l’ancien forum d’oumma.com, se trouvaient des chroniques de Tariq Ramadan, intellectuel suisse et prédicateur populaire chez les musulmans français. Ce dernier est loin de faire l’unanimité. Oumma.com est traité de site “islamiste“ par ses détracteurs, ce que contestent bien évidemment ses responsables.
Réactions :
Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat aux Transports
« Bruno Guigue a pris ses fonctions en septembre dernier et il m’a rendu une visite de courtoisie à son arrivée. Je l’ai trouvé sympathique et intelligent, présent sur le terrain avec un bon contact avec les élus. La récente décision de Michèle Alliot Marie est justifiée en ce sens où tout fonctionnaire se doit d’être neutre. En tant que sous-préfet de Saintes, Bruno Guigue ne pouvait à la fois exprimer ses opinions sur internet et représenter l’Etat. Comme l’a souligné le journal la Croix dans ses colonnes, le plus étonnant est que personne ne semblait être au courant. En effet, Bruno Guigue écrivait bien avant d’être nommé à Saintes. Y aurait-il eu un problème de gestion des ressources humaines au Ministère de l’Intérieur ?
Bruno Guigue appartenant à l’administration, il devrait retrouver un poste dans une collectivité, mais il est évident que désormais, son expression sera attentivement contrôlée ».
Cette révocation a, bien entendu, déchaîné des réactions sur internet où Bruno Guigue est devenu l’objet de toutes les attentions. Il ne s’attendait pas devenir célèbre de cette façon ! Il y a bien sûr ceux qui condamnent ses écrits et ceux qui les cautionnent.
Quelques extraits de ces chroniques où les défenseurs des causes israéliennes et palestiniennes s’affrontent : « Les écrits de Bruno Guigue étaient connus de tous, antérieurement à sa prise de fonction à Saintes en septembre 2007. D’où provient alors l’émoi politique qui entoure son dernier article ? Sur Radio J, Luc Rosenzweig, ancien rédacteur en chef du Monde, a fait part du scandale provoqué par cette tribune libre », « La thèse que défend Bruno Guigue n’est pas nouvelle. La proclamation de l’état d’Israël, il y a cinquante ans, a été une injustice flagrante envers la population palestinienne sur laquelle l’Occident a transféré la charge de réparer le mal fait aux Juifs par l’antisémitisme », « La sanction contre le sous-préfet de Saintes est un acte autoritaire. Le courage dont il a fait preuve est exemplaire », «Il arrive que justice soit faite : Guigue passe à la trappe qu’il avait préparée pour Israël. Hommage à ceux qui ont rigoureusement élevé la voix les premiers », « La question est posée aujourd’hui : quels sont les moyens auxquels le sous-préfet a eu recours pour obtenir, de sources sérieuses et recoupées, des éléments d’information lui permettant d’accuser une démocratie de donner ordre à ses soldats de tirer sur des fillettes ? », « Je ne suis ni juif, ni musulman. L’article de M. Guigue reflète globalement l’agacement ressenti par de nombreuses personnes au sujet des amalgames de la politique et du religieux lorsque ceux-ci touchent l’organisation d’un état, Israël, Iran », « Le peuple israélien veut vivre en paix et les habitants ne sont responsables des actes commis par leurs militaires »...
Bref, le sujet est épineux et épidermique, comme vous pouvez le constater. Il aura eu un effet inattendu en apportant, en pleine période de Pâques, un éclairage particulier sur le Proche Orient. Une région du monde où Jésus vécut sa passion et mourut, précisément...
Photo 1 : Universitaire, Bruno Guigue redeviendra administrateur civil après son (bref) passage à la sous-préfecture de Saintes. Il pourrait alors intégrer une collectivité territoriale. Il est à noter qu’il a travaillé durant plusieurs années à la Réunion auprès de Paul Vergès, président de Région et ancien membre du parti communiste.
Bruno Guigue est l’auteur de plusieurs ouvrages parus chez l’Harmattan : Aux origines du conflit israélo-arabe, Économie solidaire : alternative ou palliatif, Faut-il brûler Lénine ? Proche Orient : la guerre de mots, Les raisons de l’esclavage.
Photo 2 : Non loin du préfet Jacques Reiller, Isabelle Duhamel-Costes, sous-préfet de Jonzac, assurera l’intérim de Saintes, en l’attente du successeur de Bruno Guigue.
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